jeudi 5 avril 2012

Un bel immeuble, de Michel Arrivé.


Un bel abyme
 
L’impossibilité d’écrire est à l’œuvre dans l’œuvre et l’écriture de Michel Arrivé. Elle présidait à la « désécriture » d’Une très Vieille petite fille – pour l’héroïne, c’était l’écriture ou la vie –, elle faisait le malheur de la Walkyrie et du professeur dans le roman suivant. Dans Un bel immeuble, c’est Joël Escrivant, nouvelle figure d’écrivain, qui va s’y confronter. Ecrivain par le nom (comme l’était le Jacques Lécrivain de la Walkyrie et le professeur), Joël Escrivant ne l’est pas officiellement : ce n’est qu’un écrivain du dimanche, qui profite de sa retraite (de marchand de voitures de sport – Jacques Lécrivain était lui-même plus pharmacien et mycologue que véritable écrivain) pour assouvir sa passion.
C’est qu’il y a une discrète et assez féroce dégradation de la figure de l’écrivain chez Michel Arrivé, et particulièrement dans ce Bel immeuble. Les tourments et les exigences littéraires de Joël Escrivant – il en a, lui qui a détruit systématiquement toutes ses précédentes productions – frisent souvent le dérisoire : un refus quasi superstitieux de l’autobiographie (qui le pousse avec une hypocrisie somme toute assez littéraire à situer son roman au 26 bis rue Pougens à Montrouge, alors qu’il a lui-même vécu… au 26 de la même rue !) ; une fascination pour l’outil statistique de son traitement de texte consulté à tout bout de champ (alerté par ces considérations quantitatives, le lecteur familier ne manquera pas de remarquer que tiens, pour cet Arrivé-là, les éditions Champ Vallon sont passées au grand format) ; sans parler des accusations de plagiat par anticipation dont se retrouvent accusés Lesage et son Diable boiteux, Zola et son Pot-bouille, Perec et sa Vie mode d’emploi.
Car le roman de Joël Escrivant est aussi l’histoire d’un immeuble, « le 26 bis rue Pougens », dont les habitants sont les personnages. Afin de mieux s’y retrouver, Joël Escrivant a même dessiné schématiquement le plan en coupe de l’immeuble, avec les noms des différents occupants – sur la durée approximative d’une décennie, les année cinquante, dont le souvenir est encore frais dans sa mémoire. Entrecoupé par les tribulations littéraires et statistiques de Joël Escrivant rapportées en italiques, l’essentiel du roman est constitué par le roman même de l’auteur fictif : Un bel immeuble, malgré la couverture qui nous dit le contraire, est d’abord l’œuvre de Joël Escrivant. On y fait connaissance des nombreuses familles du 26 bis, et les ragots se muent en matière littéraire : Mesdames Gandillot et Pinaudier, qui vivent leur commérage comme une authentique mission, deviennent, dans une discrète mise en abyme, des avatars de plus en plus dégradés de la figure l’écrivain ; et pourtant on se surprend, vil lecteur, à se passionner pour leurs cancans ! Mais elles ne sont pas les seuls habitants du 26 bis à représenter l’écriture dans l’écriture – elles-mêmes se limitent d’ailleurs à faire vivre la tradition orale. Deux autres personnages : le docteur Ménétrier – médecin raté à la hauteur des succès de sa doctoresse d’épouse – et « ce demeuré de Bornichet », qui nous offre le seul récit à la première personne du roman (car les velléités littéraires du bon docteur resteront lettre morte) éprouvent soudain l’impérieuse nécessité de l’écriture.
C’est dans cette pulsion, qui dépasse les personnages et qui va en faire les authentiques protagonistes d’Un bel immeuble, que réside le caractère le plus trouble et le plus fascinant du roman : comme dans Une très Vieille petite fille, comme dans la Walkyrie et le professeur, la mort – voire le meurtre – n’est pas loin. C’est de ce côté, peut-être, que Joël Escrivant devrait enquêter ; peut-être y trouverait-il la clef de son mystère : cette érosion inexplicable et croissante de son roman, que lui signale impitoyablement à chaque consultation l’outil statistique de son traitement de texte.
 
Janvier 2010.
http://multimedia.fnac.com/multimedia/images_produits/ZoomPE/4/2/2/9782876735224.jpg
Michel Arrivé vient de faire paraître l’Homme qui achetait les rêves.

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