Je viens de terminer Anaïs ou les
Gravières, le roman de Lionel-Edouard Martin tout récemment paru aux éditions du Sonneur et je me disais deux ou trois choses. Je
pensais au récit poétique, et au Récit poétique, cet essai
de Jean-Yves Tadié que j’ai lu il y a bien trop longtemps pour en dire
encore quelque chose de pertinent mais quand même, quand
même : cette envie d’en rapprocher cette Anaïs, et aussi
cette réflexion que le roman ne me fatigue pas quand il prend cette
forme (puisque le roman, monopoliste lexical, prend
toutes les formes). Je me disais d’autres choses en vrac, vous
trouverez vous-même les rapports entre elles s’il y en a, je ne vais
quand même pas faire tout le travail pour vous. Qu’au fond il
est difficile de raconter une histoire qui ne soit pas d’une
certaine manière une enquête, moi-même en essayant de faire à chaque
fois autre chose je n’ai jamais fait que ça, et qu’alors c’est
pas plus mal d’assumer la chose : le narrateur d’Anaïs est clairement un enquêteur. (Evidemment on a tôt fait de virer l’en-.) Si les enquêteurs professionnels pratiquent
l’identification, c’est une pratique qu’ils ont en commun avec les gens qui écrivent : le narrateur d’Anaïs
est clairement les deux. Anaïs, jeune fille assassinée d’un fait
divers,
n’est donc pas seulement Anaïs, se superpose à la propre histoire
intime du narrateur en deuil, tandis que celui-ci recherche le père
absent de la victime, disparu depuis des lustres, et que dans
son imagination pour un temps il incarne : même haute stature, et
malgré ses cheveux que contrairement à l’autre il a bruns et ras –
histoire que le lecteur aussi s’identifie : tous les
livres ont été écrits pour moi. Car cette histoire est aussi
histoire d’imagination : le narrateur, tout journaliste (à l’Echo du
Poitou) qu’il est supposé être, laisse au fil des pages une
place croissante à l’imagination, au point qu’on ne sait plus si
l’on doit prendre pour argent comptant ce qui est raconté. Et là bien
sûr, l’amateur en moi de récits conjecturaux ne peut que se
réjouir. Au point que je me demande parfois si l’avenir du roman
n’est pas dans le récit conjectural. Si ce n’est pas là l’un des moyens
de retrouver l’honnêteté perdue dans la fiction thétique.
L’autre moyen honnête, c’est de faire en sorte que ce récit à la
première personne soit vraiment écrit par le narrateur ; et il
l’est : on le voit à l’œuvre, parfois en différé
mais tout de même ; ce qu’on lit est ce que le narrateur avait
besoin d’écrire, la présence du texte entre nos mais a un sens, la mise
en abyme n’est pas là seulement pour décorer.
Je ne suis pas sûr de bien me faire comprendre. Le mieux c’est de lire le livre.
merci !