lundi 25 janvier 2016

Une histoire de prescription, quoi



Cet article a été publié en 2011 sur le site MéLiCo, mémoire de la librairie contemporaine.

Une histoire de prescription, quoi

La question du sujet – qui se posait déjà à l’enfant à qui l’on disait « Et si tu faisais un beau dessin » et qui se demandait « oui mais quoi ? » – moi je me souviens que c’était toujours une maison, une maison obligée, toujours la même, avec la porte au milieu et une fenêtre de chaque côté le pignon symétrique alors que celle où j’habitais n’était pas comme ça, une maison par défaut, quoi – cette question du sujet n’a pas fini de nous fiche dedans. Son invalidité béquillante / qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire / et de longtemps ressassée / mais de toutes façons c’est pas le sujet qui fait que c’est bon / est souvent en effet l’autorisation à la plus vaine pratique du allez-je-parle-de-moi-pourquoi-pas-ce-sujet-là-en-vaut-bien-un-autre, ben tiens, d’ailleurs c’est aussi mon avis mais pas forcément tous les jours mon envie de lecteur ni d’écrire (celle-ci née de celle-là, ou parfois l’inverse) ;
du coup en réaction la critique facile à grands cris réclame des sujets de société, en prise avec le monde, le contemporain, comme paraît-il on sait en faire outre-atlantique (et bien sûr pourquoi pas on n’a rien contre),
sans penser qu’une telle réclamation repose d’abord sur une facilité : celle de trouver quoi dire sur ledit roman (car c’en sera sûrement un), quoi dire l’attaché de presse au journaliste le journaliste au lecteur, quoi dire au représentant qui dira quoi dire au libraire qui dira quoi au lecteur.
Dans le meilleur des cas, on essaiera de ne pas confondre le sujet avec l’histoire – quoi. Et accessoirement, quelques mots sur la forme (c’est-à-dire grosso-modo rien d’autre que le style et la construction du récit – on pense aux myopes comme aux presbytes ; à quoi d’autre ?). Comme si l’histoire quand il y en a une ne faisait pas aussi partie de la forme que prend le sujet. (Il y a même des livres sur lesquels on sera d’accord pour dire qu’ils ne valent rien comme littérature et qui font les plus forts best-sellers : simples histoires formatées, formes vaines et rien d’autre. Ce rappel aux accusations de formalisme qui ratent leur cible.) Bref, l’auteur en moi est frustré – tiens, le lecteur aussi : le conformisme nous guette au coin de la rue.
Car c’est bien pour ça qu’il est si difficile de vendre de la poésie, quoi. Ou toute forme de littérature qui invente sa propre forme – c’est quoi ce livre ? A quoi ça ressemble ? (parce que c’est pratique, quand même, de dire à quoi ça ressemble qui existe déjà : ça donne un langage commun.) C’est pratique, oui, mais c’est tellement mieux quand ça ne ressemble pas vraiment à ce qui existe déjà. Alors c’est pour ça aussi qu’on a envie de les prendre dans ses bras, les quelques éditeurs, critiques, libraires et autres professionnels du livre qui,
oubliant tout ce qu’ils ont lu, tout ce qu’ils connaissent – car pour bien oublier il faut quand même d’abord bien connaître –,
inventant leurs propres mots pour parler de ces nouveaux mots-là, essaient vraiment de dire quoi.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire