Un crâne de mouton
L’écrivain
est un être simple et naïf qui arrive les mains nues avec l’espoir fou
de laisser aux hommes le témoignage universel
de sa souffrance, lesquels seraient dès lors en mesure de dépasser
les leurs – espoir vain puisqu’il est aussi incapable de les comprendre
qu’ils sont de le comprendre, appartenant qu’ils sont à
des mondes étrangers ; tout au plus saura-t-il leur rendre plus vive
la conscience de leur misère, et attirer sur lui leur rancœur.
Ce serait somme toute une façon – bien pauvre – de résumer les Saisons
de Maurice Pons. Bien pauvre car à la lecture,
ce livre merveilleux, étonnant à chaque page, est bien autre chose
encore que cette expression de l’impossible écriture. Dans un paysage
montagneux et rural s’en vient sous une pluie sans fin un
voyageur solitaire et disgracié, au physique ovin, qui débarquant
dans le village perdu d’une vallée encaissée s’y installe, et croit
pouvoir y réaliser son rêve fou : devenir écrivain. Dès
son arrivée, il se heurte à l’hostilité et à l’incompréhension des
villageois, et ce heurt prend d’abord la forme prémonitoire d’un crâne
de mouton qu’on lui lance d’un grenier, et contre lequel
Siméon blesse son orteil dans un geste de rage impuissante. C’est le
début d’une longue dégradation physique au royaume de Sa Majesté
Pourriture, ce pays aux saisons interminables, où la pluie
pendant des mois tombe nuit et jour, avant d’enfin céder la place au
« gel bleu » qui fait tomber les choucas et durcir les globes
oculaires, tandis que les habitants se chauffent en
s’attachant au ventre quelque bestiole à sang chaud.
Le
contraste entre l’idéalisme naïf et innocent de Siméon, sa
vulnérabilité, et le caractère immonde de son nouvel entourage –
la mesquinerie de la veuve Ham, l’impudeur de Clara Dogde, la
gouaille trop mûre de la petite Louana, la méchanceté gratuite du
douanier Esclados, la science sauvage et souriante du Croll, tout
cela parmi les montagnes de fumier –, donne lieu à la lecture
intermittente, trop rare peut-être, du journal ineffable de Siméon qui,
tout confit de bonté vaine, donne de la vie du village une
description délicieusement décalée. A chaque page le lecteur
s’émerveille de l’imaginaire de l’auteur, qui enrichit la description du
village et l’histoire de Siméon d’événements inouïs, souvent
proches de l’insoutenable, heureusement contrebalancés par une sorte
d’humour consécutif à l’étrangeté.
Quand
je pense que je n’avais jamais entendu parler de ce livre (paru en
1965), ni de cet auteur, j’ai tendance à me dire que
cette histoire d’un homme qui se veut écrivain sans vraiment pouvoir
écrire, l’histoire de cet homme qui n’a aucune chance de se faire
entendre un jour, c’est bien une histoire, sinon l’histoire,
de la littérature.
Mars 2008.
Un extrait ici.
Avant
l’ouverture de ces Hublots, un autre moi-même s’est vaguement essayé à
la critique littéraire, sous le couvert d’un
pseudonyme – bien conscient de n’être pas au mieux dans ce genre
d’exercice. Certains articles néanmoins méritent peut-être quand même
d’être lus, au moins pour faire connaître les textes
concernés, pendant que je retourne à mes copies.
Commentaires
Un incontournable, ce livre, ce qui devrait t'encourager à lire tout Pons, car tout y est bon.
Commentaire n°1
posté par
Pascale
le 20/03/2012 à 19h09
Mais j'y compte bien !
Réponse de
PhA
le 20/03/2012 à 21h00
Je lis Les Saisons. Je suis effectivement émerveillée par
l'imaginaire de l'auteur, sidérée par les personnages, émue par Siméon,
songeuse devant toutes les questions posées. Ce livre me fait un
peu l'effet d'un coup de poing. Je ne connaissais pas Maurice Pons.
Commentaire n°2
posté par
Anonyme
le 26/03/2012 à 18h27
C'est un livre vraiment très fort, très singulier, et bien trop peu connu en effet - malgré les années.
Réponse de
PhA
le 26/03/2012 à 20h32