Après Il y a un, paru en 2004, Il y a de
poursuit l’évocation d’une guerre sans nom, abstraite et invisible.
On y retrouve le même héros narrateur, figure dérisoire de l’aède
aveugle (opérateur radio), plutôt témoin que héros, plutôt chambre
d’écho que narrateur, par la voix duquel se répercute la
rumeur du monde. Le monde, cette fois, c’est l’intérieur d’un navire
enfin à flot – sur le départ duquel s’arrêtait Il y a un
– participant, à ce qu’il paraît, au blocus d’une citadelle peut-être
imaginaire. Le temps y passe, que rien ne nous permet de mesurer,
sinon l’insidieuse et progressive dégradation des conditions de vie de
l’équipage, ignorant de sa mission, de son destin, de plus
en plus laissé à lui-même, jusqu’à générer sa propre hiérarchie
mafieuse, dirigée par des caïds rivaux ou alliés de circonstance.
La thématique, cette tension vers un horizon où rien n’apparaît, n’est pas sans rappeler Le Rivage des Syrtes ou Un
balcon en forêt. L’écriture, en revanche, est loin de celle de
Gracq. Le texte vit des paroles entendues par le narrateur aveugle, qui
sont intégrées dans un discours à la fois intérieur et
polyphonique, d’une belle et rugueuse oralité.
Disons-le
tout net : rares sont les textes, découverts au prix d’un patient
défrichage, dont la lecture a un effet aussi
physique. Réveillé en pleine nuit d’un probable cauchemar, il m’a
fallu un temps pour sentir qu’à la faveur du sommeil je m’étais
simplement laissé embarquer par un Charon encore méconnu aux
portes d’Enfers innommés.
Revenu avec l’aube à plus de lucidité, c’est avec une impatience achéenne qu’on se surprend à rêver, après « Il y a
un », après « Il y a de(ux ?) », d’un « Il y a trois » – Il y a Troie ? – plus sombre encore.
Décembre 2006.
De Gabriel Bergounioux chez Champ vallon, outre Il y a un dont Il y a de est la suite, il faut aussi lire Doucement et le tout récent Mes nippes.
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