8 heures 20 ou quelque chose comme ça, je m’apprête à quitter la Nationale 10 à la Grâce de Dieu, les usagers connaissent, et le
radar juste après entre les platanes ; à la radio c’est les Matins de France Culture, deuxième partie, Brice Couturier accueille Russell Banks :
« Et
moi la question que je me pose à la lecture du livre de Russell Banks
c’est pourquoi, pourquoi les romanciers
américains sont-ils capables de donner des descriptions aussi
précises, aussi justes de la vie des vraies gens quand nous, ici, nous
devons nous contenter des documentaires et des enquêtes pour
avoir une manière… avoir une idée de la manière dont on vit chez
nous. Bref, on demande des Russell Banks français d’urgence. »
Et
moi la question que je me pose c’est pourquoi toujours ces mêmes
marronniers dans notre paysage, comparer ce qui n’est pas
contemporain (il m’a toujours semblé que le roman américain
apparaissait à peu près à l’époque où disparaissait le roman français,
au moins sous sa forme assumée), et cette confusion sous-jacente
entre roman et littérature, sans parler du cliché des « vraies
gens » digne d’un discours de campagne.
Il paraît que la littérature française n’a plus d’audience à l’étranger. Qui, au fait, est chargé de la faire
connaître ?
Heureusement
que Banks est là pour répondre par l’histoire littéraire américaine –
eh bien oui, les littératures aussi ont des
Histoires, différentes, on n’y échappe pas – et complète sa réponse
par un échange qu’il a eu avec un romancier chinois ; mince, c’est
justement au moment où ça devient intéressant que
j’arrive sur le parking du collège ; il faut que j’y aille, là aussi
il y a de vraies gens, pas plus hauts que trois pommes pour certains
mais vraiment vrais ceux-là, qui m’attendent.
Mais j'étendrai le roman américain au roman anglosaxon. Avez-vous lu "L'Art du Roman" de Virginia Woolf. Elle ne résout aucun problème, ne donne aucune clé mais après l'avoir lue, on se sent drôlement mieux, plus libre. Cette suicidaire donne la pêche....
Bon, je n'ai lu que votre dernier post, je ne sais pas ce que vous dites ailleurs, en tout cas, le roman américain ou anglosaxon (avec H. James pour faire le lien) m'a comblée ces quinze dernières années. Mes plus récentes lectures : "Le dernier stade de la soif" (Exley), génial, Trollope (et oui, on retombe dans le XIXème et déjà, c'est à cent coudées au-dessus de Balzac) avec "Quelle époque!", très drôle, et "Un petit boulot", policier de Iain Levison avec un tueur pour narrateur mais, ce tueur-là, je l'épouse tout de suite.......
Qu’on aime ou pas Millet-et Dieu sait que je ne peux pas le blairer, tellement il me déprime -on ne peut rester insensible à la beauté du style, écoutez ça un peu :
« Après moi la langue ne sera plus tout à fait la même. Elle entrera dans une nuit remuante. Elle se confondra avec le bruit d’une terre désormais sans légendes. Les langues s’oublient plus vite que les morts. Elles tombent, comme le jour, le vent, ou le silence sur le monde où je suis né et qui était peuplé de gens rudes, peu loquaces, au visage tourné vers le couchant, et qui auraient souri de me voir, moi, le dernier des Bugeaud, seul de ma race aujourd’hui à écrire le français à peu près comme ils ont rêvé de le parler ou, pour quelques-uns, l’ont parlé, quand ils ne s’exprimaient pas en patois, dans ce parler limousin où s’entendait encore, entre les souffles des animaux et ceux des grands bois, tous les temps du subjonctif, tandis que le français y renonçait et qu’ils parlaient, eux, avec ce respect de la syntaxe française qui était la véritable armature de l’homme, pour les Bugeaud comme pour les autres Siomois, y compris ceux qui parlaient mal mais qui considéraient que s’exprimer correctement était ici-bas, le vrai, le seul vêtement de gloire »
Cet incipit sublime, dont certaines phrases quasi cicéroniennes, eu égard à leur déploiement, nous rappelle à quel point la littérature classique est notre berceau et comme nous sommes pétris d’humanités, n’a rien à envier à la littérature américaine qui, quoi qu’en en dise, s’est arrêtée avec Hubert Selby Jr. Et, au-delà du fait qu’elle fasse état de « vrais gens », elle possède surtout un vrai style, une vraie poésie, en un mot : du talent ! J’aurais pu citer encore Alain Roehr, voire Pascal Mercier qui, bien que suisse, n’en écrit pas moins en français, mais puisqu’il fallait rebondir sur des « vrayes gensses », sans tenir compte des vraies plumes…et, allez tiens, d'une vraie pensée ! Au moins c'est dit !
Je crois bien que Pascal Mercier écrit en allemand - mais qu'à cela ne tienne : il me semble que la littérature contemporaine de langue allemande est elle aussi assez ignorée de nos médias, précisément au moment où elle en tient de grands, comme Reinhard Jirgl, par exemple.
Pour ce qui est du "roman", encore faudrait-il redéfinir le mot, vaste entreprise. Les auteurs que je lis produisent des oeuvres étiquetées "romans", James, Woolf, Faulkner, McCarthy, Hubert Selby Jr. (que cite un de vos commentateurs), etc... sont des écrivains en recherche de nouvelles formes. J'ai la même méfiance que vous envers ce qu'il est convenu d'appeler un roman disons... classique.
Je ne connais pas les auteurs français que vous citez. J'irai voir. Quant aux journalistes qui les ignorent, je les ignore moi aussi. Très rarement je me fie à un discours critique. C'est un auteur qui me mène à un autre. Après avoir mis le pied dans la littérature anglosaxonne, je n'en suis pratiquement plus sortie. Forcément, ce système entraîne des ignorances.
J'exagère un peu, vous vous en doutez. J'ai quelques passions dans la littérature française mais je suis très infidèle depuis quinze ans. Et vous avez raison : on ne peut pas comparer. Je me demande si mon addiction actuelle ne serait pas liée au fait que j'ai longtemps vécu à l'étranger et que je me sens profondément de nulle part.....
Je me demande souvent ce qu'il adviendrait de l'oeuvre de Faulkner si elle était l'oeuvre d'un auteur français écrivant aujourd'hui. Ce serait publié chez Quidam, Verdier, Champ vallon ou un autre risque-tout ; ça ferait sans doute l'objet de quelques beaux articles ici et là (car il y a encore quelques critiques qui font bien leur travail) - mais pas tant que ça ; et on serait content de dépasser les mille exemplaires. Je caricature sans doute. Peut-être. Pas sûr. Tout simplement parce que Faulkner, comme ça, brut de toute explication préalable, eh bien on trouverait que c'est trop difficile. Pardon : "exigeant", c'est comme ça qu'on dit.
En dépit de la magnificence de votre citation, je m'insurge : nous serions, nous, Européens, les seuls héritiers de l'amour du verbe? Je m'insurge, oui, contre cet européanocentrisme, si répandu.... Voyagez, regardez, écoutez : l'inventivité langagière, la poésie, le "vrai style", le talent sont de toutes les cultures.
Il existe, entre autre, à Madagascar, un art de la parole qui est une des bases de la culture malgache. C'est le "kabary" qui consiste en de véritables joutes oratoires qui peuvent durer des journées entières et qu'on retrouve partout, lors des retournements des morts traditionnels, jusque dans le théâtre populaire.... Et pour avoir tenté d'apprendre la langue malgache, je peux vous dire qu'on n'y appelle jamais un chat, un chat, qu'on passe toujours par des métaphores, que la construction grammaticale des phrases suppose une autre vision de la société et que c'est très compliqué pour les Cartésiens que nous sommes...
Il me semble que, pour pouvoir juger, il nous faudrait connaître bien d'autres langues que la nôtre.....
Désolée (quoique...) j'aurais dû fumer une clope avant de vous répondre mais le chant me l'interdit.
Très lapidairement, parce que l'absence de nicotine me rend expéditive :
a)- Nous parlions de littérature américaine. Je n'entendais donc pas faire le tour du globe avec vous !
b)- L'européanocentrisme n'a rien à voir avec ma conception de l'écriture. Il ne me semble pas qu'un débat d'idées relatif à l'ethnocentrisme ait été ouvert sur cette note. J'en juge que vous vous dispersez beaucoup et que votre souci n'est pas tant de réfléchir sur une question donnée que de rebondir sur les quelques mots qui pourront éventuellement alimenter votre logorrhée.
c)- Que savez-vous des langues que je pourrais parler et des pays dont la culture m'a nourrie ? Je n'aurais selon vous ni voyagé, ni expérimenté l'immersion dans d'autres langues que celle de Vaugelas. Parmi le nombre considérable d'inepties que vous avez pu proférer, je me demande si ça n'est pas la plus énorme... Pour info : mon père est iranien, ma mère flamande, mon arrière grand-mère maternelle d'ascendance maranne, mon mari turc et j'ai vécu en Grèce. Combien de langues croyez-vous que je parle ?
d)- Je ne vous ferai pas l'injure de revenir sur votre méconnaissance de Selby que vous vous êtes crue obligée de placer dans votre discours, histoire de me faire croire que vous auriez pu le lire. Ne vous fiez pas à la notice Wikipedia dans laquelle vous êtes allée mettre votre nez ! Selby n'expérimente aucune forme d'écriture qui n'ait déjà été élaborée par d'autres avant lui. Il ne rompt pas non plus avec la linéarité du récit, même s'il introduit, in Le Démon, une conception du temps augustinienne qui brise l'horloge sociale. C'est un romancier aussi intéressant, aussi créatif, que peut l'être le Céline du Voyage, mais rien d'absolument novateur dans son écriture ne le rattache à la littérature expérimentale.
e)- J'aurais bien aimé savoir en quoi des gens comme Volodine, par exemple, se sentent affranchis du genre romanesque, étant donné que le roman est un genre bâtard, polymorphe et relativement extensible. Et dans la foulée, j'aurais aimé savoir si des gens comme Volodine ou Chevillard (que je n'ai pas encore lus, je le précise...moi ! ;-)) considèrent que Queneau serait ou non un romancier, si le Cortazar de Marelle s'inscrit dans le genre du roman et si le Lee Siegel de L'amour dans une langue morte, voire le Danielewski de La Maison des feuilles et leur écriture expérimentale se rattachent ou non au roman ?
J'aurais aimé savoir encore si, en dehors des formes de l'Essai, de la poésie, du théâtre, de la Nouvelle, de la biographie, de l'autobiographie et du Roman, il existait une nouvel art d'écrire qui ne se rattache à aucune de ces catégories ?
Seulement, j'irai poser mes questions ailleurs parce que j'ai horreur qu'on me court sur le haricot quand ça ne s'impose pas ! Merci madame Ânonyme, j'suis pas prête de repasser dans le coin !
Merci pour l'accent circonflexe...
Et je n'aurais pas lu Selby, tiens donc....
Et il vaudrait mieux écrire : je n'aime pas qu'on me courre sur...
Quant à la littérature américaine, elle est multiple, produit d'un melting pot de Turcs, d'Iraniens, de Grecs... alors...
Calmez-vous, allez fumer une clope. En ce qui me concerne, je préfère en rire. Et basta.
Au moment de la réponse, au moment de l'écrivain chinois, eh bien j'étais déjà garée depuis un moment et ça pouvait plus attendre, ça sonnait, et les vraies petites gens de 3ème m'attendaient....