samedi 24 mars 2012

Babel nuit, de Philippe Garnier.


entre kok et ûûûûûûûû
 
L’enfance du narrateur – innommé d’un bout à l’autre du livre – n’aura été qu’un long Epépé en privé, jamais reconnu par quiconque : il n’a jamais compris un mot de la bouche de ses parents, qui eux-mêmes, parfaitement opaques au regard de leur enfant, n’ont jamais eu l’air de s’en rendre compte. Le père semble emprunter ses syllabes kok yeksshh achiakawa ahahalaala è vero whagg aux langues les plus variées tandis que la mère module et étire un long ûûûûûûûû sans fin. N’ont jamais eu l’air de s’en rendre compte jusqu’à qu’à un certain jour, car un beau soir tout de même : Tu comprends ce que je dis ? Et comme la réponse tarde à venir : Tu entends quand je te parle ? Mais le narrateur a déjà trente-huit ans, son père est mort et sa mère est une vieille dame qui depuis son fauteuil pour une fois ne dit pas ûûûûûûûû. Ce discours soudain intelligible (soudaineté apparente : le narrateur n’a-t-il pas été jusque là sujet à un empêchement de la compréhension ?) est l’événement déclencheur d’un récit d’une très simple unité temporelle, de la fin d’un jour au matin du lendemain : une errance parisienne et une succession de rencontres qui à chaque fois donne au narrateur l’espoir de pouvoir enfin raconter son histoire à quelqu’un, tandis qu’en face de lui l’interlocuteur comprend autre chose, l’interlocutrice s’endort et que le protagoniste reste seul à considérer sa propre érection durable et vaine. Comme à chaque fois chez Philippe Garnier (cf ici et ) ce qui est dit, les situations dans lesquels se retrouve le héros (quelques-unes sont évoquées en quatrième de couverture, ça m’évitera de vous les résumer), tout cela est à la fois cocasse et mystérieux. Mais tout cela surtout déborde d’inquiétude. On ne peut pas faire confiance à ce qu’on entend ; la femme à laquelle enfin on s’abandonne n’est qu’un résumé de toutes les autres et sa compréhension quasi extralucide l’empêcherait d’exister aux yeux du narrateur sans l’abandon aveugle de celui-ci ; quant à autrui, comment être sûr qu’il n’est pas mieux nous-même que nous ne le sommes ?
Babel nuit vient de paraître aux éditions Verticales.
http://www.editions-verticales.com/data/GrandeCouv/344.jpg

 

Commentaires

Je lisais régulièrement les chroniques de Philippe Garnier dans "Libé" : toujours à haut degré, comme un parfum de "beat generation" (perdue ou éperdue).
Et maintenant il s'est concentré dans la pure littérature comme il y a du whisky pur malt, à cacher dans un sac en papier (la bouteille ou les pages), genre kraft ou plus simplement tout blanc.
Commentaire n°1 posté par Dominique Hasselmann le 24/03/2012 à 11h33
Non non, Dominique ; il ne s'agit pas de Philippe Garnier, mais de Philippe Garnier. D'ailleurs il y a désormais, dans les livres de Philippe Garnier, à côté de la rubrique "du même auteur", une rubrique "pas du même auteur", où figurent les livres de Philippe Garnier, qui fait de même dans ses propres livres. Tu me suis ?
Réponse de PhA le 24/03/2012 à 11h59
D'accord, Philippe, je croyais qu'il s'agissait de Philippe Annocque, en fait.
Commentaire n°2 posté par Dominique Hasselmann le 24/03/2012 à 12h34
Il y a comme une parenté aussi.
Réponse de PhA le 26/03/2012 à 08h36

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