Voici
comment je vois les choses : depuis des années, un écrivain, Hubert
Lucot, écrit un livre, le même. Mais un livre,
c’est aussi un objet ; alors, à un moment, j’imagine qu’il s’arrête
un instant, juste le temps d’expédier une liasse de feuilles à POL, qui
en fait un livre, au sens où nous l’entendons
habituellement. Un jour, l’un de ces « livres » me tombe sous la
main, m’attire l’œil. Ça s’appelle Frasques, beau titre,
j’ouvre, je jette un œil, tiens, ce sont des vers,
bien centrés sur la page, je feuillette un peu, non, ce n’est pas un
recueil de poème : très vite il y a un grand 1, et un titre de
chapitre : « Morts, fraîcheur ». Fraîcheur,
Frasques. Je sais déjà que le livre ne se limitera pas à une
histoire de fredaines. Je lis :
« Villa fermée sur des herbes folles, grille rouillée écaillée. L’idée « Mort de Frank ».
Il vivait dans des locations souvent frustes… »
(Pendant que je lis la suite me poursuit cette phrase : « L’idée « Mort de Frank ». »)
Plus loin :
« La
maison était basse, sa vétusté l’écrasait dans une impasse de
poussière, l’escalier extérieur fait sonner la cloison.
Forte femme, à l’odeur forte, la grand-mère de Frank repose dans sa
mort proche en cet été 1950 : sable insistant déposé par l’obscurité,
son lit-cage, dans un cadre piqueté de rouille et de
mouches les moustaches de son mari mort il y a des décennies.
Quelqu’un dit : « c’est un peu comme si… » »
Si je me laisse aller je vais recopier le livre entier. En plus, ce n’est même pas celui dont j’ai promis la
présentation.
Je n’ai jamais vu écrire ainsi. (Au fond de moi, un peu d’envie.) Déjà je sais que je ne m’arrêterai pas là dans ma
lecture.
Je
regarde la fameuse liste « du même auteur : », en fin d’ouvrage. Il y
en a deux pages. Premières
publications : 1969. C’est un monsieur qui a du métier. (Je
comprends mieux, pour ses phrases. Quelque part, ça me rassure.) J’ai un
peu honte de ne pas le connaître.
J’ai
fini le livre, auquel, évidemment, je n’ai pas tout compris. Impression
d’une visite en restant sur le seuil. De ne pas
connaître tous les invités. (La réception était déjà commencée,
quand je suis arrivé. Il faudrait que je reprenne tout depuis le début.
Toute la lecture. Il commence où, le début ? Il faudra
que je retourne voir la liste des titres, en fin d’ouvrage.) A-M,
tout de même, femme de l’auteur, me devient vite familière. Et là, sur
fond de mer, la silhouette crépusculaire de
Jean-Edern Hallier, que l’auteur appelle… comment l’appelle-t-il
déjà ?
Je ne me souviens pas de tout ; j’ai lu ce livre en… « achevé d’imprimer : octobre 2001 » ; j’ai dû le
lire début 2002. Puis j’ai lu Opérations, en 2003. Et Opérateur le néant, en 2005 ; que l’éditeur (ou l’auteur qui sait) a sous-titré « roman » ; c’est de
l’humour, je me dis, et après tout, pourquoi pas ?
Si
c’était moi, qui devais préciser le genre, qu’est-ce que je dirais ?
Journal intime ? Mémoires ? L’intime et
le public, la personne et le monde, le passé et l’actualité. Lucot,
tobogannant, nous charrie de l’un à l’autre – on s’accroche, et c’est
comme ça qu’on s’accroche, et qu’on lit l’opus suivant.
Il me semble que, des trois textes évoqués, Opérations est le plus tourné vers le monde, théâtre où elles se jouent, et qu’Opérateur le néant
serait le plus privé ; mais je
n’en jurerais pas, je ne jurerais rien d’ailleurs de tout ce que
j’ai pu dire, ce ne sont que mes impressions, en attendant la lecture du
Centre de la France (2006).
Août 2006.
Et finalement, comme souvent et sans autre raison que le temps qui nous manque, j’ai enjambé le Centre de la
France, et ne suis revenu sur ces terres qu’avec Allègements .
Commentaires
Lucot, juste un nom pour moi, mais tu redonnes envie d'aller voir, lire, intégrer.
Commentaire n°1
posté par
Dominique Hasselmann
le 21/03/2012 à 21h05
Même à moi ça me donne envie d'en lire un autre, tiens.
Réponse de
PhA
le 22/03/2012 à 17h50
J'aime bien : "je n'ai pas tout compris", "il faudrait que je
reprenne tout depuis le début", "je ne me souviens pas de tout". C'est
très encourageant. Et ça donne envie de se lancer dans
l'aventure.
Commentaire n°2
posté par
Anonyme
le 22/03/2012 à 08h14
J'aime beaucoup ne pas tout comprendre, surtout à la première
lecture, quand c'est le premier livre que je lis d'un auteur. Il me faut
du dépaysement : en pays trop balisé, je m'ennuie.
Réponse de
PhA
le 22/03/2012 à 17h52