J’annonçais il y a un an jour pour jour le divorce officiel entre la grammaire et l’épreuve de français du brevet,
c’est une affaire confirmée. Le texte de Charlotte Delbo (saluons
quand même l’effort notable pour sortir un peu des sentiers battus – non
sans regretter l’absence d’un vrai paratexte introductif
qui aurait permis d’éviter quelques hors sujet en rédaction) n’a
inspiré aux concepteurs encore une fois qu’une seule et malheureuse
question de grammaire : la 5b (il y en avait
8) :
« J’avais toujours pensé que nous tomberions ensemble », identifiez le temps du verbe tomber et
justifiez son emploi.
Le
conditionnel présent (réponse attendue mais on admettra aussi la seule
mention du conditionnel sans précision supplémentaire)
est en effet un temps de l’indicatif, ça ne fait aucun doute à mes
yeux mais force est de constater que beaucoup de mes collègues le
présentent encore comme un mode, j’espère que ça n’aura pas
troublé les plus sérieux de nos élèves (car celui qui aura juste
répondu « présent » en considérant qu’on ne lui demandait pas le mode
n’aura pas le demi-point).
Le
demi-point suivant portait donc sur l’interprétation de ce conditionnel
– et bien sûr c’est là que les choses deviennent
intéressantes : quand la question de grammaire est au service de
l’interprétation. « J’avais toujours pensé que nous tomberions
ensemble », avec cette subordination à une
principale au plus-que-parfait, aucun doute possible, le
conditionnel a valeur de futur dans le passé. Bravo. Sauf que. Sauf que
la phrase reproduite dans la question est tronquée, Charlotte
Delbo a écrit : « J’avais toujours pensé que nous tomberions
ensemble, si nous tombions. » Cette hypothétique finale évidemment
change la donne. On est dans le cas, tout à fait
passionnant à condition d’être loin du collège, d’une syllepse des
valeurs temporelle et modale du conditionnel : le système hypothétique
justifie le conditionnel aussi bien que la
concordance des temps. Passionnant, non ? Entre d’autres termes, le
candidat qui parle d’hypothèse mérite autant son demi-point que son
camarade qui a reconnu un futur du passé. Et voilà
comment la question de grammaire est annulée – sauf à savoir
reconnaître un conditionnel par sa terminaison.
Concernant
l’évaluation de la maîtrise des outils de la langue, comme on dit
aujourd’hui, ce sera tout. Vous me direz qu’il y a
la réécriture, remplacer une deuxième personne du singulier par une
troisième du pluriel : « Je sais que tu es brave, je sais que tu sauras
vivre sans moi. Il faut que tu vives,
toi. » Je ne commenterai pas la longueur de l’exercice (4 points
quand même, 0,5 par changement correct effectué), mais faites-le,
observez le résultat. L’intérêt ne me paraît pas évident.
(J’ai la faiblesse de penser que la réécriture est un exercice
d’orthographe qui doit faire sens, qui doit faire réfléchir à la forme
choisie par l’auteur. D’accord, ce n’est pas toujours facile
à trouver.)
Il
nous reste la dictée. C’est un peu comme l’an dernier : il faut montrer
qu’on est exigeant sur l’orthographe. Du coup on
a encore un texte difficile. Piégeux, même. Bien trop, à mon avis.
Mais comme il faut bien que les élèves réussissent, on va faire des
tolérances. Le candidat qui aura écrit « Toutes
confidences, tous contacts exigent un déplacement. Et il y a les
distributions d’armes, de journaux, de postes émetteurs, de matériels de
sabotages. Ce qui explique la nécessité d’une armée
d’agents de liaisons qui tourne à travers la France comme des
chevaux de manèges » aura la même note que celui qui aura procédé à des
accords moins étonnants. Dans des cas pareils, si on ne
veut pas pénaliser la majorité des candidats, qu’au moins on bonifie
ceux qui pratiquent les accords les plus conformes au sens du texte.
Enfin,
tout ça ne concerne que les élèves qui ne sont pas officiellement
reconnus comme dyslexiques. Car ceux-là, à moins de
souffrir d’une dysorthographie profonde, n’ont pas grand-chose à
craindre de leur dictée à choix multiple. Sur un paquet de 39 copies,
les deux dyslexiques avérés ont obtenu respectivement 6 sur
6 et 5,5 sur 6. Il y avait sans doute bien d’autres candidats dont
les difficultés spécifiques auraient justifié au minimum le même
traitement, mais certaines familles n’ont pas forcément
conscience de la nécessité d’une prise en charge, et d’autres
préfèrent aider leurs enfants à surmonter les difficultés plutôt que de
les aplatir devant eux.
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