L’artiste est-il maître de son œuvre ? demandait-on hier matin en philo aux élèves de Terminale scientifique. Nul doute que
le Carnet d’or de samedi était à l’origine du sujet. J’y reviens encore une fois à propos de Mariana,
Portugaise, le livre de Guy Goffette, réédité lui aussi mais de dix ans plus ancien que le mien puisque paru pour la première fois en 1991 aux éditions Le Temps
qu’il fait – saluons au passage le beau travail de cet éditeur.
Un extrait pour commencer :
O grand cinéma de la componction.
Petite
Marie-Madeleine au bordel battant sa coulpe ô tendre lupin des lupanars
baisant de larmes et chaude salive les pieds du
christ en bois, répandant l’avaricieux parfum du capitaine Judas, la
chevelure de feu épongeant la dalle avant que tombent les douces
paroles du pardon, les douze coups de trahison. C’est matines
qu’on entend hélas, et c’est le glas dans la vallée, à Mértola ;
c’est la relève qui sonne là-bas sur la mer : la Campagne du Portugal
s’achève. Au jardin, les oliviers s’éveillent.
Vide est le champ du potier, vides les yeux de Mariana, l’encrier
vide et l’avenir fermé.
Guy Goffette, Mariana, Portugaise, Gallimard, p. 52.
Ni glose ni paragraphe des Lettres de la religieuse portugaise sommes-nous prévenus, Mariana, Portugaise
est
une sorte de palimpseste amoureux des lettres de l’amoureuse
abandonnée, poème d’amour en prose qui reprend la structure
pentagrammatique du best-seller naguère anonyme, dont du coup j’ai voulu
relire les cinq lettres : mince, impossible de mettre la main
dessus. D’un saut à la librairie j’en fais l’acquisition, sans trop me
poser la question de l’édition ; ça sera
Garnier-Flammarion. Et là, voici que le nom de Guilleragues (je
m’avise à l’instant que je n’avais jamais vraiment pris la peine de le
retenir) me saute aux yeux d’une manière désagréable :
il est écrit en plus gros caractères que le titre. C’est une chose
qui me choque toujours comme une incongruité : rendre le nom de l’auteur
plus visible que le titre. C’est d’autant plus
frappant quand le nom de l’auteur est bien moins connu que le livre
lui-même. J’avais bien senti à ma lecture de Mariana, Portugaise et des commentaires dont Guy Goffette accompagne le
texte de sa nouvelle édition que l’attribution tardive (on en parlait encore quand j’étais étudiant) des Lettres portugaises
à Guilleragues lui déplaît. J’avais l’impression que pour ma
part elle me laissait indifférent. Peut-être pas tant que ça. Enfin,
ça n’est peut-être pas tant Guilleragues lui-même ; il faut bien après
tout qu’un texte ait un auteur, et l’on sait bien
que celui-ci ressemble rarement à la voix qu’il fait résonner dans
son œuvre, mais tout de même : lorsque celui-ci a le bon goût de
s’effacer lors de la publication – car c’est bien
intentionnellement que les Lettres portugaises sont d’abord
parues sans nom d’auteur – n’est-ce pas un peu trahir le texte que de
lui coller ainsi le nom de ce « courtisan-diplomate
gascon », ainsi que le résume Guy Goffette ? On comprend qu’il soit
importuné : ce nom de Guilleragues sur la couverture est un inutile
tue-l’amour entre Mariana et son lecteur –
car Guy Goffette, à n’en pas douter, est amoureux.
C'est sûr que les titres de certains auteurs sont moins vendeurs que le nom de l'auteur. Hum!
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Dans ces cas-là, même pas besoin de titre...
Certains osent tout.
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