Marilyne Peau, je la vois sur scène, se décompose en une multitude de petits espaces cubiques qui vont donner lieu à
l’apparition de nouveaux personnages, un personnage roux d’abord, qu’on appelle le frère.
Le frère parle à Marilyne Peau, assise par terre, forçant sa souplesse
dans des exercices
gymnastiques répétés. La sœur répond au frère sur un ton léger. Le
photographe fait son apparition, encourage Marilyne Peau, il dit qu’elle
retrouvera son niveau des débuts et la colère ou la
rage ou la volonté, enfin l’énergie. Le petit déhanché qu’elle a
acquis sera sa particularité. Il dit que tous ensemble ils y arriveront.
On voit Marilyne Peau triste et douloureuse, puis ils
fument des cigarettes tout en regrettant que la vie ne soit plus la
chose continue, unie, qu’elle était. Marilyne Peau a un peu bu, pendant
ce temps on creuse les tunnels. La nuit, après avoir
beaucoup parlé, tout le monde creuse et prépare. Parfois il faut
s’arrêter. Le frère empêche Marilyne Peau de boire, il la pousse à
s’entraîner encore et il s’entraîne avec elle et s’entraînent
avec eux tous ceux qui se cachent avec eux, les voilà qui
s’assouplissent, jambes écartées, face à moi, à nous. Le directeur de la
compagnie chorégraphique, lui, ne s’entraîne pas. Il semble,
whisky et pelle à la main, un peu découragé.
Marie Cosnay, Des métamorphoses, p. 56-57, Cheyne, 2012.
Le soir le lecteur lit Des Métamorphoses
de Marie Cosnay puis le lendemain oubliant qu’il est aussi le lecteur
se
recompose en professeur qui se dit que ce serait dommage quand même,
après avoir étudié avec ses 6e cet extrait du Déluge, celui de la
Bible, de ne pas leur lire aussi comment Ovide le raconte
dans ses Métamorphoses. Et le voici qui lit, l’attention
est raisonnable quand même malgré l’été venu, Deucalion et Pyrrha
inspirent la sympathie. L’oracle de Thémis fait lever les
sourcils, quand même, jeter derrière soi les os de sa mère, quelle
drôle d’idée ; Pyrrha est d’accord avec les élèves. Je leur dis, C’est
comme ça, les oracles ne sont pas immédiatement
compréhensibles ; j’aurais dû leur dire, Il faut se laisser
comprendre. C’est de retour à la maison que le professeur se décompose
recompose de nouveau, redevient lecteur, s’étonne que ses
divers soi-même ne communiquent pas davantage entre eux ; Marie
Cosnay, Marie Cosnay qui par ailleurs traduit Ovide et ses Métamorphoses, devient la sibylle.
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