mardi 24 juin 2014

Mon jeune grand-père (44)

   Le 18 juin 1917 - Mes chers parents. Cette carte-ci est particulièrement bien remplie, bien serrée. L’impression, à la voir, qu’il y avait de quoi dire.
J’ai reçu ces 4 jours des nouvelles de plusieurs personnes. Ce sont d’abord la carte de papa du 31 main (sic), celle de maman du 24 mai et sa lettre du 2 juin, puis une carte de l’oncle Desmarets (j’opte définitivement pour cette orthographe) du 1er juin ainsi qu’un mandat du 20. Il est bien gentil et je suis toujours heureux de recevoir de ses bonnes nouvelles et de savoir qu’il est en bonne santé ainsi que toute sa famille. Je ne savais pas que Mme Desmarets-brodeur et le père Lecoq étaient morts. Les nouvelles sont tellement serrées sur la carte que parfois elles se collent bizarrement. J’ai aussi reçu une carte de Blanche Lévêque ; elle vient d’être évacuée, elle ne connaît pas votre adresse ; elle a appris la mienne par hasard. La sienne. Son adresse. Offiziergefangenenlager Reisen in Posen. Aussi elle me charge de vous demander si vous pouvez lui donner des nouvelles de son mari qui était à Quimper au début de la guerre. Elle habite près de notre cousin Je n’arrive pas à lire le nom, ça ressemble à « Loip », il y en avait des cousins à cette époque dans la famille, 37 rue de la claie. Je n’évite pas le réflexe Google, la rue de la claie existe toujours à Saint-Quentin – mais moi je ne connais pas du tout Saint-Quentin. Le capitaine de mon régiment qui est là-bas est sans doute le capne Maldidier. Je le connais en effet très bien, s’il est encore là rappelle-moi à son bon souvenir. Je vous assure que je ne suis pas las du tout du cake. Il nous sert pour prendre le thé. C’est très agréable. Comme colis je n’ai reçu qu’un colis de pain qui cette fois-ci n’a mis que quinze jours et était en assez bon état. Avant-hier au cours d’une conversation j’ai appris qu’un camarade avait fait une partie de ses études au collège de Maubeuge. Son père qui est officier d’administration y est arrivé en janvier 1904. Nous avons donc été six mois environ ensemble. Edmond a été élève au collège de Maubeuge. Je n’ai jamais mis les pieds à Maubeuge. Il est plus jeune que moi d’un an, il était donc en 8e pendant que j’étais en 7e. Nous ne nous rappelons pas l’un de l’autre, mais nous avons dû certainement jouer ensemble. Il se rappelle très bien de tous ceux que j’ai également connus. Il était très copain avec Jean Potier, Verlynde, Charles Fleuret etc. Je comprends pourquoi l’écriture est si serrée. Edmond savait de quoi parler. Il savait que cette fois la surface de la carte y suffirait difficilement. Nous avons causé très longtemps, évoquant tous les souvenirs communs, la ville, les professeurs, les camarades. Je n’ai aucun souvenir commun avec Edmond. Mon père n’a pour ainsi dire aucun souvenir commun avec Edmond. Il demeurait rue des Je n’arrive pas à lire le nom mais je me dis qu’il me suffirait de chercher sur un plan de Maubeuge, il s’appelle Gauduchon, vous rappelez-vous de ce nom ? Il a écrit aussi chez lui pour causer de moi. Il s’appelle Annocque, vous rappelez-vous de ce nom ? C’est très drôle d’avoir vécu un an sans savoir que l’on s’était déjà connu. Un an. C’est très drôle. J’oublie toujours de vous demander une pierre d’alun pour laisser sur je n’arrive pas à lire, un repentir et un coup de gomme à la ligne en dessous déborde sur le mot après s’être rasé. Envoyez-moi aussi des souliers de tennis car depuis trois jours je fais partie du tennis club, j’ai déjà fait plusieurs parties. Pas moi. Je ne me rappelle pas avoir jamais tenu une raquette de tennis. Il est vrai aussi que je n’ai jamais fait la guerre et que je n’ai jamais été interné en camp de prisonniers. Je vous embrasse tous bien fort. Votre fils qui vs aime si fort. Chaque millimètre compte. Une boucle suivie d’un trait ondulé sous « aime si fort » fait office de signature.

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