mercredi 25 juin 2014

les silences de Pessan


J’avais sept ans, je grattais mes avant-bras jusqu’à me faire saigner, je tirais des lamelles de peau, ensuite j’arrachais les croûtes, j’empêchais la cicatrisation. Si on me surprenait en train de me gratter, je recevais une tape sur les doigts.
 
 
Ce n’est qu’après que son mari m’ait écrit pour me dire qu’il voyait clair dans mon jeu que j’ai eu envie de coucher avec elle.
 
 
Il devait être malade, je ne vois pas d’autre explication, sérieusement dérangé et pervers pour aimer regarder des cochonneries pareilles à l’âge qu’il avait.
 
 
Une marionnette. Tu lui dis bleu, il répond bleu. Tu lui dis vert, il répond vert.  Aucune personnalité. Une girouette.
 
 
J’avais sept ans, papa et maman travaillaient, après les cours j’allais chez mon pépé.
 
 
Elle a tout fait de travers, tout accompli à l’envers. Elle me rend malade, elle le sait, elle me rend vraiment malade.
 
 
Je frémis en me demandant où il pouvait bien les acheter, ses magazines pornos, je n’ose plus mettre un pied à la maison de la presse, les commerçants savent bien qu’il était mon père.
 
 
Tu lui dirais de sauter par la fenêtre, il sauterait par la fenêtre.
 
 
J’avais sept ans et après – bien après – papa et maman m’ont demandé comment cela se faisait que je n’en parlais pas, comme cela se faisait qu’il n’y avait aucun signe.
 
 
Personnalité néant, esprit d’initiative néant. Un suiveur, un mollasson, un qui ne fera pas long feu su tu veux mon avis.
 
 
Eric Pessan,  Le syndrome Shéhérazade, éditions de l’Attente, 2014, p. 82-83.
 
Raconter pour ne pas mourir, bien sûr, mais il y a des choses qu’on ne peut pas dire ou alors, il y a des choses pour lesquelles la meilleure manière de les dire est de ne pas tout dire et c’est sans doute pourquoi le syndrome Shéhérazade est si plein de vides : l’imagination (souvent horrifiée) du lecteur comble ce qui manque entre ces voix sans nom mais qui deviennent familières, ces voix qui parlent dans le noir même avant que pour de bon la nuit tombe – à la page 219.
A lire Eric Pessan je me dis que décidément c’est le silence qui le fait écrire. Bien avant l’ouverture de ces Hublots c’était l’absence d’explication qui faisait tout le drame de Chambre avec gisant. (Puis me rappelant qu’il est aussi l’auteur d’Un matin de grand silence, et plus récemment de Dépouilles et de Muette je me rends compte que je viens d’enfoncer une porte ouverte. Ce n’est pas une raison pour la refermer.)
http://www.editionsdelattente.com/site/www/images/livre/couverture/146.jpg

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