Mi-brouillard un soir à London
Un sacripan qui paraissait
Mon amour sortit du bas-fond
Or l’air vil dont il vous lorgnait
M’a fait rougir jusqu’au trognon
J’ai suivi mon mauvais garçon
Qui sifflotait cachant sa main
Dans Piccadilly dirait-on
S’ouvrait à nous un flot carmin
Pour lui Juifs pour moi pharaon
Ajustez
vos lunettes. Oui, ces vers vous disent quelque chose. Quelque chose de
tantôt familier, tantôt curieusement étranger.
Vous cherchez mieux, mais voyons, quel est cet auteur, j’ai son nom
sur le bout de la langue. Vous vous obstinez, un nom se dégage peu à
peu, et un autre aussi ; pas de chance, ce sont deux
noms différents : Apollinaire, Perec. Comment ça,
Apollinaire-Perec ? Perec ou Apollinaire ?
Ni l’un, ni l’autre – ou les deux. Oui, ces vers rappellent fortement le début de la Chanson du Mal-Aimé (« Un
soir de demi-brume à Londres / Un voyou qui ressemblait à… »). Et oui, vous avez raison : la voyelle e y fait l’objet d’une disparition.
Mais
Perec cette fois-ci n’est pas le ravisseur, tout au plus l’instigateur.
Si j’en crois la couverture du livre que j’ai entre
les mains, ce lipogramme – qui est aussi un palimpseste et peut se
lire comme tel : certains passages du poème original (reproduit sur les
pages de gauche) se mettent à résonner de façon
singulière à la lecture de son adaptation après liposuccion du e –, ce lipogramme est l’œuvre de Jean-Louis Bailly, l’auteur notamment de Mathusalem sur le fil et d’Un divertissement.
Mais vous me connaissez : je me méfie des
couvertures. J’ai croisé assez d’agents doubles pour savoir qu’elles
cachent toujours quelque chose. En l’occurrence, je sais, pour avoir lu Un divertissement, que cette Chanson du Mal-Aimant – car tel
est son titre – est en réalité l’œuvre de Pierre Helmont, le protagoniste d’Un divertissement.
C’est là en effet qu’on comprend pourquoi ce mien collègue (il est
professeur de français)
a éprouvé la nécessité tragique (et qui soit dit en passant nous
vaut un beau roman très émouvant) d’écrire un poème intitulé la Chanson du Mal-Aimant.
La Chanson du
Mal-Aimant est parue récemment aux éditions Louise Bottu, comme Un divertissement.
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