dimanche 8 juin 2014

ce que nous chante Jean-Louis Bailly


Mi-brouillard un soir à London
Un sacripan qui paraissait
Mon amour sortit du bas-fond
Or l’air vil dont il vous lorgnait
M’a fait rougir jusqu’au trognon
 
J’ai suivi mon mauvais garçon
Qui sifflotait cachant sa main
Dans Piccadilly dirait-on
S’ouvrait à nous un flot carmin
Pour lui Juifs pour moi pharaon
 
 
Ajustez vos lunettes. Oui, ces vers vous disent quelque chose. Quelque chose de tantôt familier, tantôt curieusement étranger. Vous cherchez mieux, mais voyons, quel est cet auteur, j’ai son nom sur le bout de la langue. Vous vous obstinez, un nom se dégage peu à peu, et un autre aussi ; pas de chance, ce sont deux noms différents : Apollinaire, Perec. Comment ça, Apollinaire-Perec ? Perec ou Apollinaire ?
Ni l’un, ni l’autre – ou les deux. Oui, ces vers rappellent fortement le début de la Chanson du Mal-Aimé (« Un soir de demi-brume à Londres / Un voyou qui ressemblait à… »). Et oui, vous avez raison : la voyelle e y fait l’objet d’une disparition.
Mais Perec cette fois-ci n’est pas le ravisseur, tout au plus l’instigateur. Si j’en crois la couverture du livre que j’ai entre les mains, ce lipogramme – qui est aussi un palimpseste et peut se lire comme tel : certains passages du poème original (reproduit sur les pages de gauche) se mettent à résonner de façon singulière à la lecture de son adaptation après liposuccion du e –, ce lipogramme est l’œuvre de Jean-Louis Bailly, l’auteur notamment de Mathusalem sur le fil et d’Un divertissement. Mais vous me connaissez : je me méfie des couvertures. J’ai croisé assez d’agents doubles pour savoir qu’elles cachent toujours quelque chose. En l’occurrence, je sais, pour avoir lu Un divertissement, que cette Chanson du Mal-Aimant – car tel est son titre – est en réalité l’œuvre de Pierre Helmont, le protagoniste d’Un divertissement. C’est là en effet qu’on comprend pourquoi ce mien collègue (il est professeur de français) a éprouvé la nécessité tragique (et qui soit dit en passant nous vaut un beau roman très émouvant) d’écrire un poème intitulé la Chanson du Mal-Aimant.
La Chanson du Mal-Aimant est parue récemment aux éditions Louise Bottu, comme Un divertissement.
http://www.laprocure.com/cache/couvertures/9791092723045.jpg

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire