samedi 4 octobre 2014

Mon jeune grand-père (53)



Le 31 juillet 1917 – Mes chers parents –
Je reçu comme courrier les cartes de papa des 10-13-14-16-17 et la lettre de maman du 15 juillet. Combien de fois ai-je recopié cette phrase ou sa jumelle ? Quel sens cela a-t-il d’encore la recopier ? Je pourrais dire une fois pour toutes que, dans chacune de ses cartes, il y a une rubrique où Edmond énumère le courrier qu’il a reçu et dont le noyau est constitué des cartes de son père et d’une lettre de sa mère. Je le dirais une fois pour toutes et on n’en parlerait plus. Ce serait moins fastidieux. Mais si je le faisais, est-ce que ça rendrait justice à cette correspondance dont le sens n’est que dans la répétition du même parce que chaque jour serait le même que la veille sans les aléas du temps et ceux du courrier, précisément ? Alors je continue : J’ai reçu les colis gare 5, 6 et 7 en bon état sauf le pain qui est toujours complètement moisi. Maman a eu une bonne idée de m’envoyer une paire de chaussettes de coton ; car non seulement c’est plus élégant mais c’est aussi moins chaud. Personne ne m’entend mais c’est à voix haute que je lis ces phrases, d’un ton hésitant parce que je peine à déchiffrer, et qui résonne à mes oreilles comme la voix de quelqu’un pour qui la lecture n’est pas une pratique familière. Louis ne pourra pas voir son service à fumeurs à sa prochaine permission car l’expédition des colis n’est pas encore rétablie. Vous lui direz que je lui souhaite beau temps et une bonne permission. Tandis que je lis cette phrase une photo s’impose à ma mémoire. Le souvenir est flou, je ne sais plus si Edmond et Louis sont en uniforme, je ne sais plus si Geneviève est assise au premier plan devant ses frères debout ; il se peut que je confonde plusieurs photos. Je me souviens juste d’une certaine gaucherie dans la pose de Louis qui tranche avec l’aisance de son cadet. J’ai en effet (je ne comprends pas, je lis « bien » suivi d’un mot très court, deux lettres au plus ; ça ressemble à un n) de ce que vous me racontez au sujet de ma jumelle, Lucie, (je crois lire « Lucie », le mot est surchargé mais ça me paraît vraisemblable, il doit s’agir de sa cousine Lucie Mangot, peut-être avait-elle le même âge), le même tour m’est arrivé quand je l’ai reçue. Le secret c’est qu’elle est (je lis « couliste ») pour éviter la longueur due au fort qui justement. Je n’y comprends rien. Ce ne doit pas être ça. C’est idiot de recopier ces mots qui ne sont sûrement pas les bons. Mais peut-être que ne pas comprendre fait partie de cette chose que je suis en train de faire. Vous n’avez donc qu’à la tuer vous verrez parfaitement. Qu’est-ce que ça veut dire ? Elle n’a qu’un défaut c’est qu’elle a un champ très petit. Ça ne doit pas être bien criminel en tout cas. J’ai dans un journal (il a dû oublier « lu ») que le Ct Gerdin (sous réserve) du Pavillon était en Suisse, peut-être aurez-vous bientôt de ses nouvelles. Puisque maman désire une nouvelle photo, je me ferai refaire, mais maintenant nous sommes obligés d’avoir à faire (sic) aux photographes civils et ils prennent très cher. Si j’avais su que la mesure pour les colis devait durer si peu de temps je ne vous l’aurais pas écrite, car je me doute que vous vous tourmentez.
Depuis quelques jours il refait bien chaud. J’ai fait une partie de tennis ce matin et j’ai été obligé de changer de linge. Tout de même, Edmond ne manque pas de talent pour tenter de substituer un souci imaginaire aux réels tourments. Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis et tte la famille. EAnnocque

4 commentaires:

  1. Comme tout lecteur-lectrice-assidû des lettres de "grand-pere", ne pourrais-tu pas, un jour, nous poster une photo de lui meme floutee?

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    1. Je ne sais pas encore. J'ai un peu de mal avec les portraits.

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  2. Je crois que vous avez raison de recopier à chaque fois toutes les phrases qui commencent ces cartes. Je ferais de même...

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    1. D'ailleurs je ne choisis pas vraiment de le faire, j'obéis juste à je ne sais quoi.

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