samedi 25 octobre 2014

Mon jeune grand-père (56)



  Le 17 août 1917 Mes chers parents. Sur cette ligne et les deux suivantes l’écriture est bien plus large que d’habitude. Comme si Edmond avait oublié qu’il n’avait pas la place. Mais très vite les dimensions de la carte se rappellent à lui.

Le courrier continue à arriver régulièrement. J’ai reçu les cartes de Papa des 28 30 et 31 juillet, 1 2 et 3 août ainsi que la lettre de maman du 29 j. Je suis content que mes cartes vous arrivent aussi régulièrement. Ces cartes. Deux années et quelques où ces cartes ont représenté le seul espace de liberté. Un espace de quatorze centimètres sur neuf à l’intention d’un destinataire unique à condition de choisir ses mots. Il n’y a plus que quelques (Edmond doit avoir oublié un mot) à attendre pour recevoir de nouveaux colis. C’est très pâle, je devine plus que je ne lis. Le crayon à papier s’efface. Cette difficulté à lire, c’est tout ce temps qui nous sépare. A commencer par les 35 ans qui séparent sa mort de ma naissance. Il est temps car il y a quelques denrées qui tirent à leur fin, la graisse notamment. Aussi n’oubliez pas de m’en envoyer une (je n’arrive pas à lire) comme je vous l’ai demandé pour que je ne sois plus à court. J’ai reçu le colis de pain n°12, il était encore moisi mais le (je n’arrive pas à lire) était en bon état et convient parfaitement. Je vois que vous êtes très Je ne suis même pas sûr que c’est ça. Je n’arrive pas à même deviner la suite. J’ai l’impression que ça passe directement à cher frère est toujours mais je ne vois pas le rapport et de nouveau la suite est illisible. En tout cas un peu plus loin il y a j’espère qu’il a profité de sa permission pour m’envoyer un petit mot. Bien sûr il s’agit de Louis. Cette pauvre maman va avoir bien de l’ouvrage en l’absence de Geneviève. J’espère que (je n’arrive pas à lire) et l’aideront. Je vous ai envoyé le jour du 15 août une photo de l’exposition (je suppose qu’il s’agit de l’exposition de Kerbschnitt du mois d’avril), il y en a plusieurs, je vous en enverrai de temps en temps. Il me semble (je n’arrive pas à lire) Que diront ses parents quand ils rentreront ? J’ai communiqué la nouvelle au Capne B qui le connaît il est de mon avis. Je ne sais même pas ce que je recopie. J’ai profité du 15 août pour communier. Je vous quitte en vous embrassant bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis, Madeleine et Jean, et toute la famille. Votre fils qui vous aime de tt son cœur. EAnnocque Cette formule finale, à peu près aussi peu lisible que le reste, mais toujours la même. D’elle au moins je suis sûr. Mais peut-être aussi est-ce cela, dans chaque carte, ces mots tout prêts, qui ont le plus de sens. En vous embrassant bien fort. How to do things with words, dira Austin. Je vous quitte. Je vous quitte.

5 commentaires:

  1. Ce crayon dont le trait s'efface : l'oeuvre du temps entre lui et vous, oui, qui donne un texte original lacunaire et la page que vous en faites....

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  2. "Je ne sais même pas ce que je recopie."
    Ce que vous faites-là n'a pas de prix Philippe. C'est magnifique, émouvant. Merci.

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  3. C'est moi qui vous remercie toutes les deux.

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  4. Ce qui est émouvant c'est tout cet amour contenu dans les mots du quotidien.
    Je pense que c'est à cela qu'on connaît l'amour, à ce souci que soit assuré l'essentiel pour ceux qu'on aime. Le souci qu'a Edmond pour les siens (souci de les rassurer et assurer de son amour) et le souci des siens d'apporter à Edmond le confort et réconfort indispensables.
    C'est magnifique, oui, je partage le sentiments de mes camarades.

    mp

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