Mettre le
nez dans le moteur d’une DS – je le sais pour avoir observé
l’expression ahurie de nombre de garagistes non-cartésiens à l’ouverture
du capot – peut à bon droit être considéré comme un choc
culturel. Ce fut tout à fait le cas avec Archie qui dans un
haut-le-corps s’exclama : « Gosh ! »
Presque
aussitôt cependant, le pragmatisme anglais commandant impérativement
de prendre contact avec les
problèmes avant que d’y réfléchir, Archie plongea au plus profond
des entrailles du mécanisme, trifouillant avec fébrilité parmi les
durites, émettant à intervalles réguliers de petits
grognements désapprobateurs ou bien encore des : « What’s that ? » et des « Extraordinary ! ».
Enfin, après dix bonnes minutes d’intense
activité exaspérée, il me demanda de mettre le contact et
d’actionner le démarreur. Après quelques tentatives infructueuses, le
moteur fit mine de répondre favorablement pour s’épuiser presque
immédiatement en crachouillis pitoyables. Archie releva la tête et,
me fixant de derrière le pare-brise avec un air soupçonneux un tantinet
agressif, s’écria : « Avez-vous touché
l’accélérateur ? » Sur ma réponse négative, il fonça dans le
capharnaüm qui lui sert d’atelier dans l’un des coins de la grange et en
ressortit avec une espèce de long croc recourbé
d’un modèle que je n’avais encore jamais vu jusque-là puis,
plongeant derechef sous le capot, entreprit avec la dernière énergie,
soufflant comme un bœuf, de tordre quelque élément
manifestement rétif du mécanisme. Ayant plus ou moins réussi, du
moins à ce qu’il me sembla, il me demanda de remettre le moteur en
marche. Celui-ci démarra au quart de tour pour presque aussitôt
exploser dans un couac atroce et insolent. Archie hurla : « Crazy french system ! », ajoutant rageusement entre ses dents : « Peuvent-ils faire les choses
comme tout le monde ? Le peuvent-ils ? »
J’entrepris
alors quelque chose comme une longue justification emberlificotée
concernant la dramatique absence de
simplicité dont sont affectés la plupart des ingénieurs français,
mais Archie, qui était resté à m’écouter dubitativement tout en
contemplant dans une sorte de transe de perplexité courroucée
l’intérieur du capot, s’immobilisa soudain tel un faucon en plein
ciel – et je me souvins à cet instant qu’il avait été un as de la R.A.F.
durant la dernière guerre – puis avec une rapidité
foudroyante fondit sur un minuscule clapet qu’il entreprit (de toute
évidence convaincu d’avoir enfin débusqué le fauteur de troubles) de
dessouder avec frénésie. On entendit alors d’étranges
bruits de succion et de déglutition assez répugnants émaner du
moteur imperturbablement récalcitrant.
Ce
fut à ce moment-là qu’Archie, parvenu au comble de l’exaspération, se
releva brusquement dans un mouvement de
dépit. Or – trois fois hélas ! – Archie avait sous-estimé un dernier
aspect de l’incompétence Citroën car il se heurta méchamment le haut du
crâne au rebord – un peu bas, il faut bien
l’admettre – du capot relevé. Archie, aveuglé à la fois par le sang
qui avait jailli de la blessure en maculant ses lunettes et par une rage
longtemps contenue, vociféra : « Damned
it ! Bloody french mecanic ! » et, se ruant sur le moteur comme
pour un assaut décisif des Scottish Rangers face à l’ennemi, commença
d’arracher furieusement toutes les
durites sans plus pouvoir se contrôler, le sang qui dégoulinait se
mêlant à l’huile du moteur.
Ce
n’est qu’en le prenant à bras-le-corps et en lui dispensant des paroles
d’apaisement au creux de l’oreille –
abondant dans son sens, l’assurant d’être convaincu, moi aussi, que
les ingénieurs français étaient de dangereux pervers dépourvus du
moindre sens commun – que je parvins à le dissuader
d’empoigner la lourde masse qui reposait à quelques mètres de la
voiture et d’anéantir définitivement ce symbole patent de l’incorrigible
arrogance continentale.
Denis Grozdanovitch, Rêveurs et nageurs, « Un choc culturel », José Corti, 2005, p.
14-16.
Ça commence bien, décidément, ces Rêveurs et nageurs, signés par l’auteur lors d’une rencontre
il y a quelques mois, dans
un gymnase-salon-"du-livre" dont l’atmosphère plutôt étrange
pourrait bien lui fournir l’argument d’une de ces fables contemporaines à
la 1ère personne dont il a le secret.
Commentaires
heureuse... merci.
Commentaire n°1
posté par
Pascale
le 14/08/2009 à 18h19
C'est moi qui te remercie. Tiens, j'en mettrai un autre passage dès que mon cauchemar quotidien m'en laissera le temps.
Commentaire n°2
posté par
PhA
le 14/08/2009 à 19h14