C’était la première fois que je le photographiais,
depuis cinq ans
déjà qu’il est dans la famille, pêché par le fiston, lors d’une
pêche à la ligne de fête foraine, ou plutôt : incarnant brillamment des
écailles la conquête d’une série de canards en
plastique crochetés de la tête. Le fiston cependant avait choisi le
plus terne, le plus « poisson » de ces poissons en sachet ; un poisson
rouge qui n’avait de rouge que le nom, il
était en réalité plutôt argenté avec une queue quelconque vaguement
jaunâtre. Il s’est toujours montré d’un naturel plutôt placide :
toujours lent dans ses déplacements, jamais l’ébauche
d’un saut pour voir à quoi ressemble le monde de l’autre côté de la
surface. Mais il a su cependant nous surprendre et nous séduire : outre
sa longévité, au fil du temps, son argent
terne à viré à un or du plus bel effet ; et sa queue, surtout, s’est
allongée en un voile voluptueux,
marqué d’une tache noire, plus
ou moins visible selon des raisons mystérieuses. Et voilà que ce
soir, il a d’abord semblé peiner dans ses mouvements avant de se
retourner lamentablement, flottant le ventre en l’air. Appelé à
la rescousse, votre serviteur l’a immédiatement sorti pour le placer
dans un moule à cake, ça allait de soi n’est-ce pas ? pour quelle autre
raison ce moule à cake traînait-il sur
l’évier ? et voici le maître-nageur sauveteur désigné essayant de
convaincre l’intéressé désabusé qu’il était trop tôt, que la vie valait
encore la peine d’être vécue. Il a d’abord rechigné,
l’agonisant : il était – me répondait-il par des mouvements
faiblards et inefficaces – incapable de retrouver son équilibre : son
ventre irrésistiblement remontait vers la surface.
Heureusement le manque de profondeur du moule à cake, ainsi que ma
main secourable, l’aidait à se maintenir tandis que M changeait l’eau du
bocal (qui, précisons-le, l’avait été tout récemment).
J’ai ensuite vigoureusement versé le contenu du moule à cake dans le
bocal. La bestiole paraissait quelque peu estourbie, mais je voulais
tellement lui voir le désir de nageoter même vaguement
que ma main toujours l’accompagnait ; non, on ne se retourne pas, on
nage comme le bon poisson qu’on est ; je suis plutôt tenace quand je
m’y mets, on peut dire collant si on veut, je
ne m’en formaliserai pas ; quoi qu’il en soit voilà mon poisson qui
en effet recommence à nageoter faiblement, puis de moins en moins, qui
enfin parvient par lui-même à retrouver son
équilibre, c’est bien mon grand, continue comme ça ; M lui verse
quatre ou cinq daphnies histoire de lui donner l’idée de remonter vers
la surface (on n’aime plus trop le voir la tête en
bas, même si, regarde bien, c’est juste qu’il fouille dans les
cailloux), et voilà qu’il nage vraiment à présent, comme si de rien
n’était, et même que, ô miracle ! il remonte de lui-même à
la surface picorer les daphnies, on ne dit pas picorer pour un
poisson ? c’est que le nôtre a des ailes, regardez-le promener sa
traîne, on en croirait en Dieu dirait l’ami Didier, mais non, pour une fois le héros c’est moi.
Ça me laisse sans voix - comme le miraculé.
(Et me redonne de l'espoir, le DVD de Le temps d'aimer et le temps de mourir vient tout juste de s'arrêter - être enrhumé est bien pratique dans ces cas-là pour renifler l'air de rien - manifestement c'était encore the time to love pour le poisson rouge, je m'en réjouis...)