La
présence d’un dormeur dans une salle de cinéma donne au film une force
et une fraîcheur nouvelles. Comme si
l’endormi assumait à lui seul la masse d’inattention dont les
spectateurs sont capables, et les en libérait. Comme s’il restituait à
l’intérêt qu’on porte à l’image toute sa gratuité et sa
souveraineté. Son ronflement apparaît comme un certificat
d’intensité de bien des scènes qui autrement pâtiraient de l’effort
collectif et trop égal des spectateurs. Il a la même vertu que la
prière des ermites, qui s’abstiennent de participer au cours du
monde pour mieux en conjurer le mal.
La catharsis des dormeurs s’applique à n’importe quel spectacle, pourvu qu’ils y trouvent où s’asseoir, les
vertèbres bien soutenues. Cela ne pose aucun problème face au téléviseur, mais manque cruellement aux concerts techno.
Dans
la vie quotidienne, un dormeur de service favorise une communication
claire et une réception sereine. Il
devrait accompagner les instants de haute vigilance, les coups de
fil qui décident d’une carrière, les négociations de la dernière
chance.
Dans ce procédé, l’insomniaque va trop loin. Car une ville entière plongée dans le sommeil donne au solitaire
éveillé un sentiment d’ivresse et de toute-puissance qui nuit à la clarté de ses perceptions. Un seul dormeur suffit.
Philippe Garnier, Une petite cure de flou, PUF, 2002, p. 36-37.
Depuis cette salutaire petite cure de flou, Philippe Garnier a fait paraître le non moins indispensable Mon père s’est perdu au fond du couloir, et plus récemment un authentique roman,
« de plage » toutefois.
Vous m'emmerdez, Annocque. Vous me ruinez avec vos extraits de lecture.