– Et ce pauvre monsieur à lunettes, poursuivit Oblomov, qui m’a
harcelé pour savoir si j’avais lu
le discours de tel député, et qui a écarquillé les yeux quand je lui
ai dit que je ne lisais jamais les journaux ! Après quoi il a enchaîné
sur Louis-Philippe, en parlant comme si
Louis-Philippe était son père ! Après quoi il m’a posé
d’innombrables questions pour que je lui confie ce que je pense du fait
que l’ambassadeur de France a quitté Rome. Comme si l’on pouvait se
charger de toutes les nouvelles de l’univers, et pérorer, pérorer, jour
après jour, semaine après semaine, jusqu’à
en perdre le souffle ! On ne le peut pas, naturellement ! Mais lui,
il n’en a cure. Et si Mehmed Ali envoie un navire à Constantinople, il
se creuse aussitôt la tête
« Pourquoi ? » Et si demain Don Carlos échoue dans ses projets, le
voilà dans une angoisse mortelle. Que l’on creuse un canal, ou que l’on
envoie des troupes au Levant, alors,
Seigneur, le torchon brûle ! Et il change de visage, il court, il
crie, comme si c’était contre lui que ces troupes marchaient, comme si
c’était lui que l’on creusait ! Tu vois, ils n’ont rien à faire,
aussi s’éparpillent-ils dans tous les sens ! Sous cette « universalité »
se cache un vide affreux, une absence
de sympathie totale à l’égard de n’importe qui, de n’importe quoi…
Évidemment, suivre un sentier modeste, mener une vie laborieuse, ils
trouvent cela ennuyeux, car s’ils vivaient ainsi, ils ne
pourraient plus jeter de la poudre aux yeux d’autrui, et tout ce
qu’ils veulent c’est jeter de la poudre aux yeux. Tout ce qu’ils
veulent, tout ce qu’ils cherchent !
Oblomov, deuxième partie, chapitre 4.
Commentaires
Excellent, toujours! Et il a raison, et dans l'ombre laborieuse
je continue ma lecture de "Istambul" d'Orhan Pamuk (en poche) au lieu de
lire les livres de la rentrée littéraire qui me tombent des mains - pas
tous, heureusement, j'en ai lu suffisamment qui me plaisent et que je
présenterai, place maintenant aux livres choisis et achetés depuis belle
lurette. Quel beau voyage littéraire, à la Sebald, cet "Istambul", tu
l'as lu, Philippe ?
Commentaire n°1
posté par
Pascale
le 20/08/2009 à 21h37
Eh non. (Déjà que j'avoue ne pas lire les journaux, ma réputation est faite !)
Commentaire n°2
posté par
PhA
le 21/08/2009 à 10h48
Et bien, ça faisait déjà un bout de temps que je me disais
qu'il fallait que je lise Oblomov. Il va maintenant falloir que je me
mette à penser à le faire !
Commentaire n°3
posté par
Stavroguine
le 21/08/2009 à 14h34
Sûr !
Commentaire n°4
posté par
PhA
le 21/08/2009 à 14h37
L'oblomovisme qui est tout de même plus "sympathique" que le bovarysme...
Commentaire n°5
posté par
Chr.Borhen
le 21/08/2009 à 15h39
C'est ce qui m'inquiète : l'oblomovisme m'est vraiment très sympathique !
Commentaire n°6
posté par
PhA
le 21/08/2009 à 15h42