vendredi 28 août 2009

une belle surprise

Une autre fois cependant, un mercredi après-midi, il nous arrive une chose étrange avec mon frère. Derrière la maison, il y a un grand terrain en friche, une sorte de pelouse mal entretenue, et au bout une rangée de hauts sapins sombres qui parais­sent en plastique et dégagent une odeur de mauvaise résine. Ces sapins cachent un mur, et derrière le mur il y a une des routes qui serpentent dans le village, et aussi, tout contre notre maison, le petit cimetière du village.
À côté du cimetière, à l’angle de notre terrain, il y a une sorte de grande benne dans laquelle les ouvriers municipaux jet­tent les bouquets fanés des tombes et tous les détritus en général. Nous fouillons souvent dedans, nous en ramenons des bouts de plastique pour jouer, des fausses tiges ou des faux pétales de fleurs artifi­cielles. Un mercredi, au milieu d’un bloc de terre glaise jeté là, nous voyons un objet blanc, nous le dégageons : c’est un crâne entier, comme dans les livres. Il nous sem­ble très beau, nous sommes fascinés. Je propose à mon frère de le garder. Nous revenons à la maison chercher dans le garage un sac pour le transporter sans le toucher car nous devinons que c’est sale, et nous ne trouvons qu’un vieux drapeau français tout délavé que mon père avait ramené de son service militaire.
Mon frère et moi tenons chacun une extrémité du drapeau et au centre, comme dans un hamac, repose le crâne. Nous som­mes ravis de notre découverte et allons la montrer à notre mère qui est effrayée par cette vision de mort, crie, hurle, et nous ordonne de ramener immédiatement le crâne où nous l’avons trouvé. Arrivés der­rière les sapins, nous avons la flemme d’es­calader à nouveau le mur pour rejoindre la benne à ordures et nous brisons le crâne sur le sol à coups de grosses pierres trou­vées dans le champ fraîchement labouré qui jouxte notre terrain. 
Marc Pautrel, Je suis une surprise, Atelier In 8, 2009, p. 41-42.
 
Très sensible (forcément) à ce récit du doute et de la discontinuité de la personne. J’aime, notamment, la manière dont l’auteur n’impose pas un sens à ce qu’il écrit (par exemple au terme de l’épisode ci-dessus – pour lequel pourtant ce serait facile.) Belle surprise, donc, aurais-je envie d’écrire (pour la maman) ; mais non, pas vraiment, je faisais confiance aux Lignes de fuite (où on lira quelques extraits plus manifestement en rapport avec la discontinuité) et au Journal Littéréticulaire (ainsi que, plus récemment, à la Lettrine).

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