Une autre fois cependant, un mercredi après-midi, il nous arrive une
chose étrange avec mon frère. Derrière la maison, il y a un grand
terrain en friche, une sorte de pelouse mal
entretenue, et au bout une rangée de hauts sapins sombres qui
paraissent en plastique et dégagent une odeur de mauvaise résine. Ces
sapins cachent un mur, et derrière le mur il y a une des
routes qui serpentent dans le village, et aussi, tout contre notre
maison, le petit cimetière du village.
À
côté du cimetière, à l’angle de notre terrain, il y a une sorte de
grande benne dans laquelle les ouvriers
municipaux jettent les bouquets fanés des tombes et tous les
détritus en général. Nous fouillons souvent dedans, nous en ramenons des
bouts de plastique pour jouer, des fausses tiges ou des faux
pétales de fleurs artificielles. Un mercredi, au milieu d’un bloc
de terre glaise jeté là, nous voyons un objet blanc, nous le dégageons :
c’est un crâne entier, comme dans les livres. Il
nous semble très beau, nous sommes fascinés. Je propose à mon frère
de le garder. Nous revenons à la maison chercher dans le garage un sac
pour le transporter sans le toucher car nous devinons
que c’est sale, et nous ne trouvons qu’un vieux drapeau français
tout délavé que mon père avait ramené de son service militaire.
Mon
frère et moi tenons chacun une extrémité du drapeau et au centre, comme
dans un hamac, repose le crâne. Nous
sommes ravis de notre découverte et allons la montrer à notre mère
qui est effrayée par cette vision de mort, crie, hurle, et nous ordonne
de ramener immédiatement le crâne où nous l’avons
trouvé. Arrivés derrière les sapins, nous avons la flemme
d’escalader à nouveau le mur pour rejoindre la benne à ordures et nous
brisons le crâne sur le sol à coups de grosses pierres trouvées
dans le champ fraîchement labouré qui jouxte notre terrain.
Marc Pautrel, Je suis une surprise, Atelier In 8, 2009, p. 41-42.
Très sensible (forcément) à ce récit du doute et de la discontinuité
de la personne. J’aime, notamment, la manière dont l’auteur n’impose
pas un sens à ce qu’il écrit (par exemple au
terme de l’épisode ci-dessus – pour lequel pourtant ce serait
facile.) Belle surprise, donc, aurais-je envie d’écrire (pour la
maman) ; mais non, pas vraiment, je faisais confiance aux
Lignes de fuite (où on lira quelques extraits plus manifestement en rapport avec la
discontinuité) et au Journal Littéréticulaire (ainsi que, plus récemment, à la Lettrine).
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