Dans
la soupe, elle mettait des poireaux, et il fallait apprendre à cultiver
les poireaux, les longs de Liège,
elle y mettait surtout du chou, quelques tiges grêles, aucune
perpendiculaire au sol de terre noire. La terre noire était en surface,
dessous on trouvait de l’argile, bien peu à vrai dire, bien
moins qu’en Hesbaye où elle est épaisse et grasse comme l’étron. Et
d’autant plus précieuse était notre argile liégeoise.
Dans
la soupe, elle mettait ce qu’elle trouvait exactement comme elle
voulait. Mais la soupe est lente à mijoter
et il manque quelques herbes ou un peu de viande, de la poule de
derrière ou de la vache de la prairie. Malgré toutes les interdictions
et les menaces, nous passions la clôture et hop dans le
pré, survenait alors Técheur le fermier avec son grand pantalon et
son veston noir, vociférant, des mouches autour de ses oreilles,
heureusement qu’il craignait mon père qui avait été boxeur en
Allemagne quand, dans les baraquements, les Américains victorieux
organisèrent des matches pour distraire leurs troupes.
Notre mère s’appelle Nina, en nous est toujours vivante.
Eugène Savitzkaya, Fou trop poli, Minuit, 2005, p. 23
Mais que faire de toutes ces pommes de terre en ville, en la cité, en Bruxelles extasiée ?
Après l’ivresse de la récolte, vient la tâche de la réserve, sa charge et son souci.
Qu’à la cave elles reposent en leur poussière tranquille, décide le jardinier en fou, en véritable fou trop poli.
C’est toujours ce que les Américains n’auront pas. Ni la milice. Mais les rats ? Que saurons-nous préserver des rats ?
Fou trop poli, p. 27
Pour
les bettes, il faudra de la bouse, de la bonne bouse de vache en forme
de tourte. Tout, dans la nature a une
forme. La meilleure bouse de vache a la forme d’une tourte de six
pouces de rayon. Une seule adresse, dans cette périphérie, la pâture du
Kauwberg, la Montagne de la Vache, prairie où l’herbe
croît entre les taupinières d’argile, de sable et de galets.
Que ne ferait-il pour les bettes ?
Où n’irait-il pas pour ses bettes ?
Le
fou y va en brouette. Deux pieds y conduisent une roue, une tête
regarde le ciel. Il descend du plateau et
prend la rue Vieille-du-Moulin comme on emprunte un chemin creux.
Puis monte au pré et de bouse en bouse zigzague, le manche cassé de sa
pelle à portée de main.
Part à vide et revient chargé.
Fou trop poli, p. 29
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