mardi 4 août 2009

trop belle folie

Dans la soupe, elle mettait des poireaux, et il fallait apprendre à cultiver les poireaux, les longs de Liège, elle y mettait surtout du chou, quelques tiges grêles, aucune perpendiculaire au sol de terre noire. La terre noire était en surface, dessous on trouvait de l’argile, bien peu à vrai dire, bien moins qu’en Hesbaye où elle est épaisse et grasse comme l’étron. Et d’autant plus précieuse était notre argile liégeoise.
Dans la soupe, elle mettait ce qu’elle trouvait exac­tement comme elle voulait. Mais la soupe est lente à mijoter et il manque quelques herbes ou un peu de viande, de la poule de derrière ou de la vache de la prairie. Malgré toutes les interdictions et les mena­ces, nous passions la clôture et hop dans le pré, survenait alors Técheur le fermier avec son grand pantalon et son veston noir, vociférant, des mouches autour de ses oreilles, heureusement qu’il craignait mon père qui avait été boxeur en Allemagne quand, dans les baraquements, les Américains victorieux organisèrent des matches pour distraire leurs troupes.
Notre mère s’appelle Nina, en nous est toujours vivante.
 
Eugène Savitzkaya, Fou trop poli, Minuit, 2005, p. 23
 
Mais que faire de toutes ces pommes de terre en ville, en la cité, en Bruxelles extasiée ?
Après l’ivresse de la récolte, vient la tâche de la réserve, sa charge et son souci.
Qu’à la cave elles reposent en leur poussière tran­quille, décide le jardinier en fou, en véritable fou trop poli. C’est toujours ce que les Américains n’auront pas. Ni la milice. Mais les rats ? Que saurons-nous préserver des rats ?
 
Fou trop poli, p. 27
  
Pour les bettes, il faudra de la bouse, de la bonne bouse de vache en forme de tourte. Tout, dans la nature a une forme. La meilleure bouse de vache a la forme d’une tourte de six pouces de rayon. Une seule adresse, dans cette périphérie, la pâture du Kauwberg, la Montagne de la Vache, prairie où l’herbe croît entre les taupinières d’argile, de sable et de galets.
Que ne ferait-il pour les bettes ?
Où n’irait-il pas pour ses bettes ?
Le fou y va en brouette. Deux pieds y conduisent une roue, une tête regarde le ciel. Il descend du plateau et prend la rue Vieille-du-Moulin comme on emprunte un chemin creux. Puis monte au pré et de bouse en bouse zigzague, le manche cassé de sa pelle à portée de main.
Part à vide et revient chargé.
 
Fou trop poli, p. 29

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