Je
pourrais montrer Issei Sagawa séparé d’avance, le montrer seul avec son
cahier, séparé de la classe, le montrer comme je l’ai
vu au restau, ne disant pas trois mots, souriant, et malgré ses
sourires, séparé de notre joyeuse tablée. Mais ce n’est pas ce que je
dois faire, préparer un sens bien construit pour former
adroitement des sutures, pour donner à mon affaire son liant, son
texte qui conduise le lecteur vers une élucidation de quelque chose, ne
serait-ce que du livre lui-même, qui s’en va par tous le
bouts, vainement. Plus que pour aucun de mes livres, je dois laisser
ce texte à ses défauts, laisser son entreprise même à son énigme. Ce
que veut être ce livre, je l’ignore. Je m’efforce de
retrouver ce fait divers dans mon existence, de retrouver son
contact, là où le hasard l’a placé, à l’origine de ma vie littéraire.
Nicole Caligaris, Le Paradis entre les jambes, Verticales 2013, p. 87.
Finalement ce n’est peut-être pas plus mal qu’un hasard quand même assez étonnant fasse que ce soit seulement maintenant et par
ce livre que je découvre Nicole Caligaris.
L’énormité du sujet – et pourtant il s’impose. Je n’aime pas les sujets – mais on ne les choisit pas (on ne devrait pas). Que
celui-ci ait été si longtemps tu, bien sûr. Et qu’à un moment, suffisamment lointain, il se soit imposé : aussi.
Il n’y a pas besoin d’événement
pour devenir écrivain. Mais qu’on y soit mêlé, mêlée de si près même de
biais au moment
précis où l’on en est en passe de le devenir, on ne peut pas fermer
les yeux dessus : à un moment le livre « veut » quelque chose, se veut
lui-même sans doute ; l’auteur s’y
plie.
L’auteur aurait été auteur même sans ça. Un(e) autre ?
On lira avec intérêt l’entretien de Nicole Caligaris avec Alain Nicolas.
Je me souviens avoir rencontré Nicole Calligaris lors d'une soirée rue de Paradis (dans le 10e), à laquelle m'avait invité Ronald Klapka.
Se retrouver, après coup, mêlée à un "événement" de cet ordre est forcément une interrogation littéraire : comment "s'en débarrasser" ou comment l'affronter et non le laisser enfoui dans l'esprit ?
L'écriture peut sans doute, seule, apporter réponse ou bribes d'échappées à ce phénomène.