lundi 18 mars 2013

la bouche pleine de plancher


Ronces et chiendents terminent leur course dans la maison. Le plancher parfois disjoint se soulève sous la poussée des racines et l’abondance des rejets verts et or. Les pieds des chaises, de la table, du bahut, disparaissent dans la végétation. D’autres espèces, mutantes, couronnent des tas d’ordures fertiles.
 
Autour de cet environnement sauvage se dressent les quatre murs de la pièce austère. Quelques ancêtres dans un cadre de bois ovale y sont accrochés, et aussi Joséphine et Alexandre le jour de leur mariage, – rigidité verticale, visages fermés – puis, alignés, Paule communiante, Simone communiante, Jeannot communiant. L’histoire s'arrête là. Au-dessus de chacun d’eux, l’étoile fissurée de l’impact du clou.
 
Enfant sauvage
Jeannot le benjamin
ne trouve pas de papier pour écrire l’urgence. Les murs de la ferme paternelle sont trop blancs, trop hauts ; les murs enferment une famille qui n’existe plus. Jeannot renverse les tiroirs, déblaie les étagères, retourne les lits, arrache le plâtre, pas un papier, c’est une famille où il n’y a jamais rien eu à dire, pas une feuille, c’est un enfer qu’on porte mais qu’on ne prononce pas ; Jeannot tombe à genoux sur le plancher, Jeannot s’allonge bras en croix sur le bois, Jeannot prononce ses vœux, front collé à maman, maman enterrée sous le plancher, emplanchée, elle lui glisse à l’oreille les mots et il répète, murmure, litane, et Paule tourne autour de Jeannot, autour des deux corps l’un sur l’autre, l’un mort, c’est maman, l’autre vivant, c’est son frère, l’un cadavre, c’est la mère, l’autre fantôme, c’est Jeannot. Paule ne peut entrer, pousse Jeannot du bout du pied, de plus en plus fort, ce long corps inerte qui murmure la bouche pleine de plancher, elle le pousse, le brutalise, frappe comme dans un animal mort, lui crie de se relever :
 
– Ça suffit Jeannot ! Ça suffit !
 
Mais Jeannot se lie, vœux sacrés, mission divine et maternelle. Pas un papier dans la maison, la peau de maman sous le plancher. Le plancher, sous l’escalier, sur Joséphine, contre Jeannot. Le plancher, dalle vierge en attente. Le plancher, lattes brutes striées d’étroites lignes d’obscurité.
 
 


 
C’est le plancher de Jeannot qui s’écrit sous nos yeux. Je l’ai lu. Ça remue. Il ne me reste plus qu’à aller le voir.
http://www.rue89.com/sites/news/files/assets/image/2007/07/u1836-20070709plancherbnfinside_0.jpg

 

Commentaires

L'un des livres les plus remuants que j'aie lu cette année.
Commentaire n°1 posté par Dominique Boudou le 18/06/2013 à 22h13
Oui, c'est terrible.
Réponse de PhA le 19/06/2013 à 19h45

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