Ronces
et chiendents terminent leur course dans la maison. Le plancher parfois
disjoint se soulève sous la poussée des racines
et l’abondance des rejets verts et or. Les pieds des chaises, de la
table, du bahut, disparaissent dans la végétation. D’autres espèces,
mutantes, couronnent des tas d’ordures fertiles.
Autour
de cet environnement sauvage se dressent les quatre murs de la pièce
austère. Quelques ancêtres dans un cadre de bois
ovale y sont accrochés, et aussi Joséphine et Alexandre le jour de
leur mariage, – rigidité verticale, visages fermés – puis, alignés,
Paule communiante, Simone communiante, Jeannot communiant.
L’histoire s'arrête là. Au-dessus de chacun d’eux, l’étoile fissurée
de l’impact du clou.
Enfant sauvage
Jeannot le benjamin
ne
trouve pas de papier pour écrire l’urgence. Les murs de la ferme
paternelle sont trop blancs, trop hauts ; les murs
enferment une famille qui n’existe plus. Jeannot renverse les
tiroirs, déblaie les étagères, retourne les lits, arrache le plâtre, pas
un papier, c’est une famille où il n’y a jamais rien eu à
dire, pas une feuille, c’est un enfer qu’on porte mais qu’on ne
prononce pas ; Jeannot tombe à genoux sur le plancher, Jeannot s’allonge
bras en croix sur le bois, Jeannot prononce ses vœux,
front collé à maman, maman enterrée sous le plancher, emplanchée,
elle lui glisse à l’oreille les mots et il répète, murmure, litane, et
Paule tourne autour de Jeannot, autour des deux corps l’un
sur l’autre, l’un mort, c’est maman, l’autre vivant, c’est son
frère, l’un cadavre, c’est la mère, l’autre fantôme, c’est Jeannot.
Paule ne peut entrer, pousse Jeannot du bout du pied, de plus en
plus fort, ce long corps inerte qui murmure la bouche pleine de
plancher, elle le pousse, le brutalise, frappe comme dans un animal
mort, lui crie de se relever :
– Ça suffit Jeannot ! Ça suffit !
Mais
Jeannot se lie, vœux sacrés, mission divine et maternelle. Pas un
papier dans la maison, la peau de maman sous le plancher.
Le plancher, sous l’escalier, sur Joséphine, contre Jeannot. Le
plancher, dalle vierge en attente. Le plancher, lattes brutes striées
d’étroites lignes d’obscurité.
C’est le plancher de Jeannot qui s’écrit sous nos yeux. Je l’ai lu. Ça remue. Il ne me reste plus qu’à aller le voir.
Commentaires
L'un des livres les plus remuants que j'aie lu cette année.
Commentaire n°1
posté par
Dominique Boudou
le 18/06/2013 à 22h13
Oui, c'est terrible.
Réponse de
PhA
le 19/06/2013 à 19h45