dimanche 24 mars 2013

Avec quoi Michel Butor a-t-il rompu ?


Parfois, quand même, je suis pénible. Tout m’arrête. Par exemple, là, il y a dans Télérama de la semaine dernière une interview de Michel Butor qui va sûrement m’intéresser, en effet je suis justement dans Mobile en ce moment, c’est Claro qui m’avait (re)donné envie de Butor, remontez un peu dans son Clavier cannibale, ça n’est pas si vieux, et moi ce livre-là je l’avais depuis des années et j’avais été empêché de le lire sur le moment, c’est souvent comme ça, et du coup je l’avais un peu oublié, ou plutôt c’était dès que j’aurais un moment, mais les moments vous savez comment ça va ; et puis donc là voilà Claro qui parle de Butor peu de temps après mon mois d’août états-unien, et ainsi me voici dans Mobile et cette interview qui tombe bien – mais flûte voilà qu’avant même de la lire, ou plutôt arrêté dans ma lecture, je me mets à écrire ce billet.
Arrêté dans ma lecture (de l’interview) avant même la fin du deuxième paragraphe – c’est-à-dire en pleine intro ; Butor lui-même n’a pas encore eu la parole. En effet j’y lis (j’ai oublié de dire que c’est Marine Landrot qui parle) :
 
« Etiqueté chef de file du nouveau roman, avec la parution en 1957 de La Modification (qui vouvoyait le lecteur et décrivait par le menu le voyage ferroviaire d’un homme en route vers Rome), Michel Butor a ensuite définitivement rompu avec ce genre littéraire. »
 
Bon, ça ne mange pas de pain ; c’est juste histoire de rappeler quelques souvenirs à ceux qui ne se souviendraient plus, ça n’est vraiment pas l’essentiel du propos. Nous sommes d’accord. D’ailleurs, « étiqueté », oui, c’est tout à fait ça. Surtout « nouveau roman », on a rarement produit étiquette aussi adhésive. « Chef de file », il me semblait plutôt que c’était un autre, assez récemment disparu, dont je dois reconnaître que le travail m’intéresse moins – je me rappelle en tout cas ma surprise de jeune lecteur à voir classer les Gommes et la Modification sous la même étiquette, on ne m’aurait rien dit que je n’aurais sans doute pas fait ce rapprochement, mais bon c’est comme ça. (Et puis je me trompe : c’est vrai que Robbe-Grillet n’était pas chef de file mais pape.) « Qui vouvoyait le lecteur », c’était quand même autant et plutôt le personnage que le lecteur, mais soit. « Et décrivait par le menu le voyage ferroviaire d’un homme » ne colle pas tellement davantage à mon souvenir (certes lointain) ; je me souviens certes de cette précision du cadre et des gares qui défilent, mais surtout d’un voyage intérieur (c’est sans doute là quelque chose que j’avais du mal à rapprocher de ce que j’avais lu de Robbe-Grillet) : on partait d’un point pour parvenir à un autre, mais en soi-même. Mais enfin vous avez raison, toutes ces approximations sont sans aucune importance, on n’est pas du tout dans le cœur du propos, je peux continuer ma lecture.
Donc, je continue : « Michel Butor a ensuite définitivement rompu avec ce genre littéraire. » Ça, c’est vrai. C’est même frappant. Cette façon de tout remettre en question, en jeu, c’est précisément ce qui m’intéresse. Ce qui m’intéresse d’autant plus que la Modification, justement, si l’on ne considère que le livre, ou si l’on considère que le livre est une œuvre, c’est déjà très bien. Sinon je n’en garderais pas un si bon souvenir plus de trente ans après sa lecture. Alors quoi ? « Définitivement rompu avec ce genre littéraire. » Voilà, c’est là que je deviens pénible. Sur l’emploi de ce démonstratif anaphorique : « ce genre littéraire ». De quel genre littéraire s’agit-il ? Si je lis bien Marine Landrot, regardez au-dessus, il s’agit du « nouveau roman ». Michel Butor aurait rompu avec le nouveau roman. Alors qu’à moi il me semble plutôt, dites-moi si je me trompe, que Michel Butor a rompu avec le roman, tout simplement. Vous voyez la nuance ?
Rompre avec le roman, pour un écrivain, encore aujourd’hui, c’est énorme. D’ailleurs c’est perdre l’essentiel de son lectorat – surtout aujourd’hui. Il y faut donc de puissantes raisons. C’est là qu’il y a, potentiellement, quelque chose de vraiment passionnant. Réduire cette rupture radicale à une rupture avec le nouveau roman, c’est juste, de la part d’une majorité de journalistes d’aujourd’hui, reléguer dans un passé littéraire aujourd’hui déprécié les livres d’auteurs stigmatisés par l’anti-formalisme contemporain, des auteurs dont pourtant on sait bien qu’ils ont été arbitrairement étiquetés mais qui malgré tout ne peuvent retrouver une légitimité qu’en ayant « rompu avec ce genre littéraire ».
Je veux bien qu’un article dans un journal grand public prenne quelques raccourcis, mais il y en a quand même de dangereux.
Bon, je vais quand même lire la suite : je voudrais bien écouter un auteur qui a renoncé au roman.
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