Parfois, quand même, je suis pénible. Tout m’arrête. Par exemple, là, il y a
dans Télérama de la semaine dernière une interview de Michel Butor qui va sûrement m’intéresser, en effet je suis justement dans Mobile en ce moment, c’est Claro qui m’avait
(re)donné envie de Butor, remontez un peu dans son Clavier cannibale,
ça n’est pas si vieux, et moi ce livre-là je l’avais depuis des années
et j’avais été empêché de le lire sur le
moment, c’est souvent comme ça, et du coup je l’avais un peu oublié,
ou plutôt c’était dès que j’aurais un moment, mais les moments vous
savez comment ça va ; et puis donc là voilà Claro qui
parle de Butor peu de temps après mon mois d’août états-unien, et
ainsi me voici dans Mobile et cette interview qui tombe bien – mais flûte voilà qu’avant même de la lire, ou plutôt
arrêté dans ma lecture, je me mets à écrire ce billet.
Arrêté dans ma lecture (de l’interview) avant même la fin du deuxième paragraphe – c’est-à-dire en pleine intro ; Butor
lui-même n’a pas encore eu la parole. En effet j’y lis (j’ai oublié de dire que c’est Marine Landrot qui parle) :
« Etiqueté chef de file du nouveau roman, avec la parution en 1957 de La Modification
(qui vouvoyait le lecteur et
décrivait par le menu le voyage ferroviaire d’un homme en route vers
Rome), Michel Butor a ensuite définitivement rompu avec ce genre
littéraire. »
Bon,
ça ne mange pas de pain ; c’est juste histoire de rappeler quelques
souvenirs à ceux qui ne se souviendraient plus, ça
n’est vraiment pas l’essentiel du propos. Nous sommes d’accord.
D’ailleurs, « étiqueté », oui, c’est tout à fait ça. Surtout « nouveau
roman », on a rarement produit étiquette
aussi adhésive. « Chef de file », il me semblait plutôt que c’était
un autre, assez récemment disparu, dont je dois reconnaître que le
travail m’intéresse moins – je me rappelle en tout
cas ma surprise de jeune lecteur à voir classer les Gommes et la Modification
sous la même étiquette, on ne m’aurait rien dit que je n’aurais sans
doute pas fait ce
rapprochement, mais bon c’est comme ça. (Et puis je me trompe :
c’est vrai que Robbe-Grillet n’était pas chef de file mais pape.) « Qui
vouvoyait le lecteur », c’était quand même
autant et plutôt le personnage que le lecteur, mais soit. « Et
décrivait par le menu le voyage ferroviaire d’un homme » ne colle pas
tellement davantage à mon souvenir (certes
lointain) ; je me souviens certes de cette précision du cadre et des
gares qui défilent, mais surtout d’un voyage intérieur (c’est sans
doute là quelque chose que j’avais du mal à rapprocher
de ce que j’avais lu de Robbe-Grillet) : on partait d’un point pour
parvenir à un autre, mais en soi-même. Mais enfin vous avez raison,
toutes ces approximations sont sans aucune importance,
on n’est pas du tout dans le cœur du propos, je peux continuer ma
lecture.
Donc,
je continue : « Michel Butor a ensuite définitivement rompu avec ce
genre littéraire. » Ça, c’est vrai.
C’est même frappant. Cette façon de tout remettre en question, en
jeu, c’est précisément ce qui m’intéresse. Ce qui m’intéresse d’autant
plus que la Modification, justement, si l’on ne
considère que le livre, ou si l’on considère que le livre est une
œuvre, c’est déjà très bien. Sinon je n’en garderais pas un si bon
souvenir plus de trente ans après sa lecture. Alors
quoi ? « Définitivement rompu avec ce genre littéraire. » Voilà, c’est là que je deviens pénible. Sur l’emploi de ce démonstratif anaphorique : « ce
genre littéraire ». De quel genre littéraire s’agit-il ? Si je lis
bien Marine Landrot, regardez au-dessus, il s’agit du « nouveau roman ».
Michel Butor aurait rompu avec le
nouveau roman. Alors qu’à moi il me semble plutôt, dites-moi si je
me trompe, que Michel Butor a rompu avec le roman, tout simplement. Vous
voyez la nuance ?
Rompre
avec le roman, pour un écrivain, encore aujourd’hui, c’est énorme.
D’ailleurs c’est perdre l’essentiel de son lectorat –
surtout aujourd’hui. Il y faut donc de puissantes raisons. C’est là
qu’il y a, potentiellement, quelque chose de vraiment passionnant.
Réduire cette rupture radicale à une rupture avec le nouveau
roman, c’est juste, de la part d’une majorité de journalistes
d’aujourd’hui, reléguer dans un passé littéraire aujourd’hui déprécié
les livres d’auteurs stigmatisés par l’anti-formalisme
contemporain, des auteurs dont pourtant on sait bien qu’ils ont été
arbitrairement étiquetés mais qui malgré tout ne peuvent retrouver une
légitimité qu’en ayant « rompu avec ce genre
littéraire ».
Je veux bien qu’un article dans un journal grand public prenne quelques raccourcis, mais il y en a quand même de
dangereux.
Bon, je vais quand même lire la suite : je voudrais bien écouter un auteur qui a renoncé au roman.
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