Voilà, j’ai donc lu Enig Marcheur, de Russell Hoban, dans la traduction de Nicolas
Richard, il fallait le faire, et dans la superbe édition de Monsieur Toussaint Louverture : l’objet lui-même est une petite merveille. La traduction, oui, il
fallait la faire et le faire puisque le livre n’est pas traduit de l’anglais en français mais du riddleyspeak en parlénigm.
Dans
un futur lointain et post-apocalyptique, le monde entier n’est plus que
débris, et la langue elle-même est en morts-sots.
Ce n’est pas que la dégradation d’une langue parlée par des hommes
revenus à l’âge de fer (c’est cela aussi) ; c’est la contamination dans
le langage lui-même d’une obsession partagée par
tous de la fission. On a oublié les sources des Nergies qui a causé
le Grand Boum, mais on n’a pas oublié qu’il avait été question de
diviser l’indivisible. Dans une nouvelle mythologie des
origines, notre Adam et notre atome ont fusionné en un Adom le
Ptitome, dont le destin est d’être écartelé. Cette 2alité qui hante
l’esprit de chaque homme se retrouve dans la fission de la
langue, une phonétique qui réinvente les racines des mots et double
ainsi les interprétations possibles, comme j’essaie de vous le montrer
par mes exemples de parlénigm, dont au bout de ma
lecture j’ai fini par retenir quelques birbs.
Dans
ce monde – réduit pour nous à un Kent où Canterbury est Cambry – le
pouvoir (très relatif) est détenu par des maris
honnêtis qui, la main dans leurs pantins de bois, tentent de
perpétuer et d’interpréter le Grand Boum, les causes de l’état dans
lequel se trouve le monde. Emplis de la honte de ce qui s’est
passé et d’être condamnés à ne jamais revenir à la hauteur des
ancêtres qui avaient des bateaux dans lésert, ils tentent de redécouvrir
le secret des Nergies. Enig, le narrateur, suit sa route et
son destin – ses sentiments et sa conscience que le hasard n’existe
pas bien davantage que sa raison –, se lie d’amitié sans comprendre
comment avec les chiens qui jusque là dévoraient les
hommes, et devient le premier nouvel écrivain.
La
langue pourrait rebuter mais non, pas du tout : elle est partie
intégrante et essentielle du projet et l’on s’y fait
très vite. Le rôle que lui fait jouer Russell Hoban est essentiel
comme la langue est essentielle à la littérature, et lorsque l’on tombe
sur un passage rédigé en français d’aujourd’hui – qui
précède immédiatement celui que j’ai cité hier
– et que celui-ci est réinterprété à l’aune du parlénigm et des
connaissances lacunaires des personnages, on touche à quelque chose
de vertigineux et d’émouvant – et l’on tire son chapeau au traducteur,
Nico-Larry Char, qui a su nous conduire sur ces routes
improbables.
Merci pour ce bel article.
Je pense que la jeune génération n'aura aucun mal à lire à cet ouvrage; pour ma part je craindrais l'amig reine (0_0)! Cependant, la lecture faite à haute voix via votre lien est convaincante. Un roman prémonitoire sur le devenir de la langue? Intéressant en tout cas. Merci de nous le faire découvrir.
Ambre, je me permets de vous saluer. Nous avions sympathisé chez Solko, si vous vous rappelez, et nous étions promis des crêpes si nous faisions certaines lectures... Depuis vous avez créé un blogue que j'ai découvert il n'y a pas longtemps (lien chez notre ami Dominique Chaussois dont le nom aujourd'hui serre la gorge).
Solko oui je me souviens, j'avoue avoir été obligée de me limiter pour mes blogs favoris pour ne pas passer mes journées sur Internet.
Des crêpes... liées à la littérature? J'ai la mémoire qui flanche (je parle sérieusement).
Je vous soupçonne d'avoir oublié tout ça :) C'est marrant comme dans les échanges au fil des ans, les souvenirs des uns et des autres ne sont sûrement pas les mêmes, chacun poursuivant sa route, riche de mille birbs :)
Voilà.
Ne vous inquiétez pas je crois que les choix font partie de la vie et il est moultes blogues que je porte dans mon coeur sans les fréquenter assidûment.
Je recherchais où j'avais vu le lien vers votre blogue et me demandais si je perdais la boule puisque dans vos signatures de commentaires vous ne mettez jamais le lien. Ni ici, ni chez Depluloin. En fait c'est dans le corps de votre commentaire chez Philippe Annocque, à propos du pont Firmin. Adresse à laquelle écrivait Edmond, son "jeune grand-père".