En
1977, je terminai mon engagement dans la marine marchande. Avec mes
économies, je m’achetai un épais sac de couchage, des
vêtements neufs, une tente, de bonnes chaussures, un fusil et une
douzaine d’autres choses. Je pris le train tôt un matin et en descendis
en pleine nuit. Je dormis dans la gare. Un camion me fit
traverser la ville et me déposa devant la maison du garde forestier,
à qui il manquait une jambe. Nous regardâmes ensemble une grande carte
topographique. Il m’offrit à boire et inspecta mon
fusil. Je lui offris une cigarette. Une bonne odeur de gâteau
flottait dans la maison et me donna faim. Une heure après, je m’en
allai.
Et c’est ainsi que, chargé comme une mule, je m’enfonçai dans la forêt, fuyant les hommes et l’océan, le cœur léger. Mais je
craignais de rencontrer un ours.
Hubert Mingarelli, La Lettre de Buenos Aires, « Pas d’hommes pas d’ours », Buchet-Chastel, 2011, p. 97-98.
Chez Mingarelli le cœur est rarement léger, et l’ours qui pèse dessus a aussi d’autres noms.
C’est un recueil de nouvelles, ce livre. Depuis Océan Pacifique je me demande si je n’ai pas un faible pour ses
nouvelles. Peut-être d’ailleurs n’écrit-il que des nouvelles, au fond. Ce genre désencombré lui va bien.
Benoît Dehort, Oeuvres complètes, tome 67, page 2 (Editions du goudron, 2015).