A l’issue de la treizième semaine, ils atteignaient COPENHAGUE.
« Les yeux de Warren Dahler sont de plus en plus clairs, translucides. » Le glaucome, qui modifiait – jusqu’à la
couleur des paupières ses yeux vairons, le contraignait à s’abriter de la lumière.
Monochrome
empirique. Le bureau central de COPENHAGUE se trouvait dans la villa
d’un ancien banquier dont les hommes armés qui
la gardaient, répétaient qu’il avait été décapité après avoir été
torturé ; Maïa marchait dans le couloir noir ; la deuxième porte,
entrouverte sur la gauche, donnait sur une pièce
cardinale – rouge. Warren Dahler fumait, éloignant les volutes qu’il
recrachait du chat qui se tenait sur ses genoux : « Combien de temps
avez-vous prévu de rester ? »
De
cette ancienne gare dont subsistaient des vestiges : des wagons, une
immense verrière envahie par des plantes endémiques
et exogènes, Warren Dahler s’était approprié tous les étages ;
certains trains immobiles étaient habités par des familles ; la
transition avec l’extérieur était incertaine, le toit de
la verrière au sud avait été éventré sur plus d’un tiers de sa
surface, laissant la pluie envahir la serre, et l’aile gauche écroulée
se confondait avec d’anciens débris de mur, la forêt ;
tout ici était indistinct comme une téléportation ratée agrège et
recombine des éléments organiques avec les parois du sas de
déplacement ; l’absence de transition architecturale se
répercutait dans un fonctionnement social sans hiérarchie visible,
c’est-à-dire affichée ; le modèle de défection civile qui avait prôné ce
rétablissement sociétal était un paravent. Aux
techniques d’asservissement qui avaient émergé depuis l’impact,
d’autres – qui ne semblaient pas découler d’une décision mais d’un
processus inconscient d’expansion, de réappropriation, s’étaient
ajoutés – leur fonctionnement échappait aux classifications. Les
premiers zombies qu’ils croisèrent, plusieurs jours avant d’atteindre
COPENHAGUE, étaient immobiles : « La putréfaction
atténue les spasmes ». C’est plus tard qu’ils associèrent ces
cadavres aux individus errants qui encombraient les rues de COPENHAGUE.
« Des champignons* prennent le contrôle de leur cerveau, Ies amenant à se désolidariser lentement du groupe et à tuer leurs congénères – dont les cadavres futurs serviront de socle d’incubation, de terreau aux nouvelles spores. »
* Cordyceps unilateralis.
Emmanuel Rabu, Futur fleuve, Léo Scheer LaureLi, 2011, p. 35-36.
« Emmanuel
Rabu » est le nom de code d’un système de téléportation délibérément
défectueux ou crapuleusement détourné
qui agrège et recombine des éléments d’origines disparates pour en
faire des objets poétiques fallacieusement déguisés en thèses
universitaires comme Tryphon Tournesol et Isidore Isou ou
en romans de science-fiction comme ce Futur Fleuve. (On peut lire aussi ici l’avis
d’Alain Nicolas.)
Merci Philippe! (Merci pour les autres découvertes.)