Ici,
nous nous trouvons confrontés au problème majeur de la biographie
littéraire […]. Prenez le 17 août 1965, par exemple. Ce
jour-là, Johnson ne provoqua aucune engueulade littéraire, n’écrivit
aucune lettre enflammée que je pourrais citer. Il n’alla pas se soûler à
mort avec un autre écrivain, ce qui m’aurait fourni
une anecdote croustillante. Il n’avait pas de rendez-vous galant
secret avec une belle journaliste qui aurait abouti à une aventure
torride que j’aurais pu parfaitement divulguer (vous l’aurez
compris à présent, ce n était pas le genre d’homme à avoir des
aventures). Non, il resta assis à son bureau pendant six heures et quart
et écrivit 1700 mots de Chalut. D’un ennui
mortel ? Mais c’est ce que font les écrivains. C’est non
seulement ce qu’ils font mais c’est ce qu’il font de mieux, c’est à ce
moment-là qu’ils sont le plus heureux, c’est à
ce moment-là qu’ils sont le plus eux-mêmes. S’ils ne le faisaient
pas, rien de tous les commérages superficiels qui remplissent des livres
comme celui-ci n’aurait la moindre importance. C’est
l’essence même de la chose. Mais c’est la seule chose sur laquelle
je ne peux rien écrire, la seule chose que je ne peux rendre
intéressante. Cela révèle que tout le processus dans lequel je suis
engagé est une entreprise qui peut s’avérer malhonnête (malhonnête,
Bryan, comme les romans ne le sont jamais !)
Jonathan Coe, B.S. Johnson,
Histoire d’un éléphant fougueux, Quidam éditeur, 2010, p. 204.
(Juste retour des choses - peut-être : moi aussi en réalité je profite de cette biographie de BS Johnson par Jonathan Coe pour parler de moi. C'était avoué dans le billet d'hier, ce sera vrai aussi dans celui de demain.)