C’est la rentrée : pas le temps de peaufiner un vrai billet bien personnel ; alors, comme j’ai lu
chez Pierre Jourde
un article qui me rappelle des souvenirs pas si lointains,
je vais me contenter vite fait de quelques commentaires décousus.
Vous savez, c’est à propos de ces manuscrits qu’on envoie à des éditeurs
dans l’espoir (ou plus souvent sans espoir) qu’il y en
ait qui veuille nous publier. (Parce qu’au fond, souvent, on se trompe sur l’objet de la publication ; on se prend soi-même pour ce qu’on a écrit.)
En
fait je suis assez mal placé pour parler de ce sujet. Contrairement à
la règle, à laquelle Pierre Jourde
lui-même n’a pas dérogé, je n’ai rencontré aucune difficulté pour
« me faire publier », comme j’entends souvent dire – au moins la
première fois. Quand (au bout de vingt-cinq années
d’écriture quotidienne, tout de même) j’ai fini par envoyer – par la
poste, comme il se doit – un manuscrit à un éditeur (en fait, à quatre
éditeurs ; j’avais fait des copies) ; il a
été pris tout de suite, chez un gros. Oui, Pierre Jourde dit vrai :
il y a des gens qui lisent les manuscrits dans les comités de lecture.
(Et vraiment, le texte n’avait que lui-même pour se
défendre ; parce que le nom de l’auteur, franchement, encore
maintenant d’ailleurs… quant aux relations, d’un prof de collège,
n’est-ce pas…) N’empêche, moi, je n’aime pas ça, les comités de
lecture (bien sûr, j’avoue, ça a un rapport avec la deuxième
publication ; parce que même après un premier, la publication d’un deuxième n’a rien d’évident.) Mais c’est vrai, au fond,
je n’aime pas que les gens se mettent à plusieurs pour tomber d’accord.
Ça ne
donne jamais rien de bon, ou rarement. On n’en arrive qu’à des choix
consensuels. Tièdes.
« Je
ne pouvais pas me résoudre à contacter un écrivain, à entrer en
relation avec des gens influents »
écrit Pierre Jourde. Moi non plus. Sans rire, on ne dira jamais
assez la solitude de l’auteur contemporain. Même publié une fois, même
avec une (assez) bonne presse, on a vite fait de retomber
dans l’oubli. Il faudrait se bouger, faire des rencontres, on se
dit. Mais on préfère écrire.
Avant,
« on ne les voyait pas », ses textes, à Pierre Jourde. Maintenant, il
est « devenu
visible ». Tout est affaire de visibilité, c’est écrit en haut à
gauche. Mais ce n’est pas la seule publication, qui rend visible.
D’ailleurs ce n’est pas Dans mon chien (qui
pourtant vaut le détour) mais bien en premier lieu La Littérature sans estomac
qui a assuré la visibilité à son auteur.
L’œuvre littéraire est venue ensuite, comme une confirmation, ouf
pour lui, d’une notoriété naissante fondée sur un livre qui ne se
prétendait pas, lui, œuvre littéraire (même si La
Littérature sans estomac ne manque pas de qualités littéraires).
Bien
d’accord sur le prestige à nos yeux du texte publié, par rapport au
manuscrit. (Parfois je m’y laisserais
prendre même sur mes propres textes, méfiance.) Le manuscrit, nous
dit-il, a toujours l’air à nos yeux d’« une ébauche ». Oui. Et je me dis
qu’en cela il représente peut-être, mieux que
le texte publié, la réalité de l’œuvre : une ébauche, qu’on arrête à
un moment parce qu’il faut bien. Le livre, c’est déjà un au-delà de
l’œuvre.
Et
plus loin : « on dirait parfois qu’il y a plus d’écrivains en France
que de lecteurs. » Sans
aucun doute. Même que bientôt nous serons tous seuls à nous lire
entre nous. Et dans cette inflation du nombre de manuscrits il y a quand
même un paradoxe – et ce sera l’occasion de donner mon
conseil de vieux sage à ceux qui en cherchent. Une évidence :
connaître les éditeurs (très nombreux), c’est savoir avec qui on a
quelque chose en commun. Et pour cela il faut d’abord lire,
non seulement les auteurs, mais aussi leurs éditeurs. (C’est un très
bon conseil, je le sais : je ne l’ai pas suivi. Mais je me rattrape.)
(Mais que deviendraient vos blogs avec "Gagnez une Fiat!)
Pour moi, Depluloin, l'homme aux cent textes inachevés, la question est plus que vivace. Il semblerait que le problème soit moins la publication que le reconnaissance ou la lecture. Qui est à même de me lire? Mais moi qui ne suis pas de votre monde à vous - et combien je le regrette - j'ai été stupéfait par ce que certains parviennent à obtenir de ce que je nomme affectueusemment des "crétins".
Ce sont les écrivains qui sont en avance ou en retard, rien ni personne ne parvient à les rassurer. C'est pourquoi ils ont droit aux affres.
(Et vous CFA qui êtes publié partout, ne vous inquiétez plus. Votre papier peint d'amour a beau être de guinguois, il est parfait.)
Une amie normalienne, chercheuse, quarante ans de travail acharné, quinze titres publiés aux PUF, traductions, professeur au Canada, en Suisse, aux USA, des tirages exceptionnels en reagards des sujets traités.
Cet été, la veille de son départ, les PUF - ou ce qu'il en reste - lui annonce la mise au pilon. Elle s'est retrouvée avec trois pallettes sur son troittoir.
Ça remonte le moral non?
("Publié partout", merci du compliment, mais quel optimisme ! ça dépasse d'ailleurs mes ambitions.)
(Ce que vous me dites de votre amie me désole. D'ailleurs avant-hier encore je regardais désolé la bête boutique de fringues qui remplace la librairie des PUF à l'angle de la Place de la Sorbonne.)
(Vous me raconterez l'histoire du jeune scénariste ?)
Tout est dit !
Je partage totalement. Et je pense à une discussion de sourds entre le magazine Livres Hebdo et des lecteurs déçus de ne pouvoir le lire (je reproche à Livre Hebdo d'être inaccessible à tous les particuliers et beaucoup de professionnels (des amis libraires et éditeurs ne peuvent pas s'abonner car prix exhorbitant), on en revient non seulement à "se lire entre nous", "nous les pro du livres", mais surtout "nous les riches pros du livre". La sélection - qui tend à un élitisme (Livres Hebdo se défend en se disant professionnel donc cher), ne s'appuie pas sur la littérature mais l'argent.
Ce que je remarque, même si ce n'est pas la seule raison, c'est que dans mes animations de rencontres littéraires il y a majoritairement (quasi exclusivement) des retraités et des femmes. C'est révélateur : il faut avoir du temps devant soi pour lire, pour se concentrer, il faut avoir envie (donc être curieux) pour venir nous écouter. Ceux qui lisent et se déplacent sont tous des lecteurs qui ont une attirance littéraire ancienne, j'entends par là qu'il est rare d'assister à la naissance d'un nouveau lecteur. En 5 ans, cela m'est arrivé une seule fois.
Donc, oui, il y a des tas de raisons (télé, musique, sport, ciné) pour ne pas être plus curieux mais elles sont fausses. Ceux qui ont toujours lu, qui ont toujours été curieux, continuent ces activités.
Ou alors il faut que je m'achète de nouveaux hublots !
Vous êtes de retour et ne prenez pas la peine de me prévenir. Pensez-vous que je parle en l'air?
Sinon, vos interventions sont remarquables et me donnent l'occasion de dévoiler l'une de mes facttes. Figurez-vous qu'un certain nombre de psychanalyste - dont je suis - deviennent plus prudents devant les avancées de la chimie du cerveau. A savoir que nous - certains donc - hésitons maintenant à parler d'inconscient, que nous préférons, que je préfère, car je suis assez seul, nommer non-conscient, terme qui permet de faire le pont ou la jonction - jonction est prématurée -, avec le subconscient. Ça n'a l'air de rien, mais les mots ont un sens. Tout ceci pour revenir à la "mémoire". Et c'est le serpent qui se mort la queue. (En fait, non, mais je ne vais pas me lancer dans une de mes conférence à cette heure.)
(Philippe, pensez à ceux qui écrivent tard et ont grand besoin d'un correcteur automatique!!!)
Non, la dépression ne vient pas de la mémoire, elle vient de l'anti-mémoire, du refoulé, de l'invention des souvenirs. Mais la mémoire est fort trompeuse, elle possède tous les âges, et selon les âges, pas même, car nous pénétrons ici dans la psychologie, la mémoire s'arrange avec elle-même. Donc, comme dit un peu plus haut, point de conférences.
La meilleure attitude restant celle de notre hôte superbe : Je passe outre. (En latin, ça donnerait quoi au-dessus de la cheminée?)
Heureuse de vous relire d'autant plus que la mémoire m'intéresse. Etonnants ces hasards: en ce moment je lis Bachelard et son essai sur l'eau. Il dit, grosso modo, que l'eau est un activateur de la mémoire, on plonge souvent dans les souvenirs lorsqu'on la regarde ("Liquide" en est une représentation) et certains flirtent dans un état dépressif en se mirant dedans. Or, il dit qu'on accuse à tort la mémoire car ce sont les souvenirs tristes qui remontent en surface, que l'on va volontairement chercher pour s'abîmer dans la morosité. Que c'est donc conscient même si l'on s'en défend et qu'on accuse à tort la mémoire. Qu'en pensez-vous ?
Vous me faites rire avec vos remarques, me faites penser à Pontalis qui, lorsque je l'ai interviewé, a commencé par me poser des questions au lieu de répondre aux miennes. Je l'ai prévenu : attention, je ne suis pas une de vos patientes, vous ne m'aurez pas! Et il a éclaté de rire. C'est un homme absolument merveilleux et fascinant.
Bien à vous,
Pascale
Heureux de vous faire rire... pour si peu! Et bravo de ne pas vous être laissée prendre par Pontalis que je ne connais pas sauf de réputation bien sûr. Laquelle réputation n'est pas toujours bonne d'ailleurs. Mais c'est un milieu où les jalousies peuvent être assassines! Je ne trahis rien en vous disant que lorsqu'il a vu Isabelle Adjani débarquer sur son divan, il y a de cela une dizaine d'années, il n'a pas hésité à fixer le prix de la séance à 2500 francs ! Jalousie...
La mémoire, l'eau, oui. Mais je crois surtout que l'angoisse a horreur du vide et qu'elle va "naturellement'" s'accrocher où elle peut, à un souvenir triste qui "justifie" alors l'angoisse et la rend supportable au prix de la dépression ou la mélancolie. C'est un peu vite dit mais...
Ainsi vous êtes journaliste, enquêteuse? Ça me revient maintenant, il me semble vous avoir lu dans Marie Claire. Fallait bien que j'en sorte une...
Pardon.
Et au plaisir de vous lire, chère Pascale
Je repars au turbin - loin de tout ça, c'était juste un coucou en passant.
A bientôt,
Pascale
PS: je vais aller acheter Marie Claire sur votre conseil
Ceci dit, Philippe, méfiez vous, vous allez voir débouler sous peu chez vous, des souricettes et des superintendantes, des Reines même qui vont squatter vos commentaires pour séduire un certain Depluloin, un Dom Juan sans vergogne, un traître félon, un bourreau des coeurs, un...
@ Frédérique M. : Quelle réputation allez-vous me faire?!! Certes, je plais, j'en conviens, question de physique, mais de là à me présenter comme un don Juan!! Merci tout de même...
(Ne craignez rien, je connais toute cette clique royale ; je les attends de pied ferme.) (Je remarque que vous avez parfaitement cerné la personnalité de Depluloin.)
Depluloin sème la zizanie parmi les dames, j'ai une souricette aux trousses qui me menace de m'envoyer une paire de cousins siens appelés Rats.
Voulez-vous que Philippe vous consacre une rubrique sur ses hauts plateaux: "Le courrier du coeur de Dupluloin" ? Il est si gentil qu'il le ferait, ne serait-ce que pour vous faire plaisir et nous on s'amuserait beaucoup.
Je vous prie de faire le nécessaire pour effacer toutes traces de mes éructations. Je me suis autoproclamé dans un moment d'inatention mais quelle erreur. Je ne cherche qu'un cheminée et le feu qui va avec.
Bien à vous.
Bon, ben c'est raté. Je m'attends, vue votre sévérité, à un blâme énorme.
Bon, ben c'est raté. Je m'attends, vue votre sévérité, à un blâme énorme.
Avez-vous déjà écrit un petit traité de "rigologie" ? Je lis cette définition chez Pascal Garnier (oui, la littérature est asexuée, Pascal sans "e"): "science récente élaborée par des médecins, psychologues, preofesseurs de yoga, sophrologues, masseurs et autres thérapeutes, dont elle avait pensé tester les effets avec le groupe. Elle avait assimilé sur le pouce deux ou trois techniques corporelles et psychologiques destinées à dispenser la joie de vivre, la pensée positive, la confiance en soi et pour s'assurer du résultat s'était cuisinée un petit gateau au haschich qui commençait à faire son chemin. Les Sudre, les Node et Léa avaient écouté sans broncher son introduction certifiant qu'il était scientifiquement prouvé que nous devons rire au moins quinze minutes par jour pour nous maintenir en bonne santé et augmenter la dose lorsque nous sommes malades afin de remettre en place un cercle vertueux stimulant notre système immunitaire en stoppant le cercle vicieux : maladie, déprime, chute des défenses... Merde ! C'était pas compliqué à comprendre, suffisait de se tenir les mains et de rire..."
... Depluloin : mes bottes.
Une autre vision de la chose : je voyais en librairie dernièrement, dans une librairie amie où je suis restée deux heures, comment fonctionnaient les acheteurs. C'était désolant, ils venaient acheter un ouvrage et chercher des conseils, ils étaient enthousiastes et prêts à les suivre mais à 80% des cas, ils repartaient sans car ils témoignaient : "j'ai envie de tout lire mais je suis tellement fatigué le soir que je lis une page et je m'endors. J'ai acheté plus de livres que je ne pourrais jamais en lire." Je travaille beaucoup en bibliothèque et c’est aussi ce que j’entends. Quant aux boulimiques, eux aussi je les rencontre (et c’est une grande joie), ils ont plusieurs cartes d’adhérents en bibliothèques et médiathèques et essaient de trouver leur bonheur en se servant dans l’une ou l’autre car vue leur consommation (et le prix des livres), ils ne peuvent pas suivre avec leur porte-monnaie. S'ils achètent, majoritairement c'est du poche. Et je suis comme eux, si j'ai pu lire toute ma vie, tout mon soul, c'est grâce aux bibliothèques. Je n'ai pas le souvenir d'être entrée une seule fois avec mes parents dans une librairie...
Quant au phénomène de la Toile, oui, je partage, c'est terrible c'est pourquoi j'aime les rencontres humaines.