Sur la coupe parfois un silence miraculeux
on aimerait un cri d’oiseau
mais rien
Le chef d’équipe n’est pas fameux en bûcheronnage
il a été condamné
pour empoisonnement
Après la nuit
plusieurs heures de ciel noir
puis la nuit encore
Un mélèze perd l’équilibre
lentement il balaie
la lumière des projecteurs
Entre deux flots de sang
l’automutilé raconte au soldat
sa version des faits
De la vapeur autour des chiens
la vareuse humide des soldats
nous sommes en route c’est le matin
Un autre mélèze qui tombe
l’éclipse des projecteurs
ne dure qu’un instant
Souvent quand l’arbre tombe
les étudiants
ne s’écartent pas
Ahuri de douleur
l’automutilé regarde les doigts
qui gisent à ses pieds
On se rapproche du mélèze abattu
une branche frémit encore comme vivante
puis s’immobilise
Le chef de baraque a été fermier
autrefois en Turkménie il conduisait des troupeaux
de centaines de têtes
Sur le châlit voisin le Russe fait ses prières
il s’est disputé
avec l’éleveur de vaches
Déjà minuit le sommeil du Russe s’interrompt
quelqu’un lui a enfoncé un clou de charpentier
dans l’oreille
Après la mort nocturne du Russe
l’éleveur turkmène
peine à trouver des interlocuteurs
Le bonze franchit la limite des arbres
sa main caresse une fougère
il a prévu dix secondes avant le coup de fusil
Le claquement de la carabine
dans le matin glacial
un corbeau s’envole sans crailler
Le bonze s’est effondré en écartant les bras
on dirait
qu’il embrasse la neige
Hier soir j’ai promis
de chuchoter près de sa tête
ne pas renaître surtout ne pas renaître
Le soldat est blême ses yeux s’embrument
il vient d’assassiner
son premier détenu
Les chiens aboient les gardes crient
je ne suis pas allé
parler au bonze
Lutz Bassmann, Haïkus de prison, Verdier, p. 68-71
D'autres extraits sur Poezibao, Terres de Femmes, Les Ruines circulaires, Fluctuat et chez Chichinpuipui...
Lutz Bassmann, Haïkus de prison, Verdier, p. 68-71
D'autres extraits sur Poezibao, Terres de Femmes, Les Ruines circulaires, Fluctuat et chez Chichinpuipui...
Avec les moines-soldats, aussi. Il faudra que je trouve le temps / les mots pour en parler, dans un prochain billet.