J’oubliais souvent mon père au jardin municipal. Des semaines entières,
assis sur un banc face aux toboggans et aux balançoires, il attendait,
sans trop désespérer, que je
vienne le récupérer. J’avais entre cinq et sept ans et l’esprit
facilement occupé ailleurs. Il fallait donc que quelque chose, une
association d’idées, me rappelle l’existence de mon père. Une
miette de pain, un journal déchiré. Pourquoi une miette de pain,
pourquoi un journal déchiré ? Je ne sais plus. Parfois la présence d’un
membre de ma famille suffisait à provoquer le déclic.
Et aussi la présence de ma mère. Car il arrivait que la présence de
ma mère me rappelle l’existence de mon père.
Alors,
pris de panique, je me ruais vers le jardin, parfois au milieu de la
nuit. Et là, je trouvais une petite chose
ratatinée qui attendait mon retour dans un demi-sommeil. Mon père
avait une capacité de survie extraordinaire. Il n’attirait pas
l’attention. Personne n’aurait eu l’idée de lui demander ce qu’il
faisait là, et pourquoi il restait sur son banc après la fermeture
des grilles. Il bénéficiait d’une sorte d’immunité qui lui aurait
permis, par exemple, de passer la nuit dans un musée ou dans
une banque. Mais il n’en a jamais tiré parti.
Me
voyant apparaître, mon père se levait et nous rentrions à la maison sans
prononcer un mot. Jamais un reproche de sa part. Pas même
une tentative d’explication. Ce n’est que plus tard, par des
allusions et des sous-entendus, que je compris qu’un fossé se creusait
entre nous. Car bien qu’il me fût toujours difficile de me
souvenir de mon père, je partais à sa recherche aussitôt que son
existence me revenait à l’esprit. Lui, au contraire, ne cessait jamais
de penser à moi, son fils, dont il attendait le retour,
mais en souhaitant confusément que ce retour ne se produise jamais.
Philippe Garnier, Mon père s’est perdu au fond du couloir, Melville, 2005, p.
9-10.
C’est le caractère « familial » de la troisième partie de Mon suicide
– celle qui donne son titre au recueil – qui m’a rappelé cette lecture
plus
ancienne, familiale aussi ; décalée aussi, avec élégance. Ci-dessus
la section liminaire, la plus courte (il y en a onze, les choses allant
ensuite s’aggravant ; au cours d’un texte qui
– je le précise, un simple extrait pouvant prêter à confusion – n’a
rien d’un roman ; c’est plutôt la déclinaison d’un thème).
Philippe Garnier en a
publié un depuis, précisément, de roman ; et même un roman « de
plage », qui vaut aussi le détour (on peut d’ailleurs ici en lire deux extraits). Roman vraiment, mais de plage
juste par le décor – juste et ironique contrepoint au thème obsédant de
l’enfermement (le livre peut accessoirement servir d’argument à
opposer aux éventuels désirs filiaux ou maritaux de club de vacances).
L’enfermement, on l’a déjà, dans Mon père s’est perdu au fond du couloir. C’est à l’évidence un motif essentiel chez Philippe Garnier, et un thème qui me parle aussi, sans doute.
Je vois que j'ai lu plusieurs livres traduits par lui (Offutt, Salter, Fante) mais rien de lui... Je note...
En fait, je crois qu'il s'agit d'un homonyme, Cathe (regardez le
lien vers Lignes de fuite, les commentaires). Des Garnier, il y en a
beaucoup ; quant aux Philippe, c'est une véritable calamité !
N'est-ce pas ? Vous trouvez, vous aussi, que les Philippe sont une calamité ?
Mais non, j'ai plusieurs amis qui s'appellent Philippe ;-)))
Plusieurs ! J'en étais sûr. C'est un nom propre bien commun...
j'ai lu "pendu" au fond du couloir : je sais bien qu'il faut que je change mes lunettes
A propos des Philippe (si vous ne voyez pas trop d'inconvénient à
ce que je m'immisce dans votre conversation), comme il en croisait
partout en grande quantité, Renaud Camus avait choisi de les appeler
dans son Journal Philippe I, Philippe II, Philippe III, Philippe IV, etc. Ça finissait par former une dynastie très impressionnante. (Et, bien entendu, le lecteur s'y perdait complètement...)
Commentaire n°9
posté par
François Matton
le 22/12/2008 à 13h59
C'est la contamination d'un livre par un autre : c'est Mon suicide de Jean-Luc Caizergues, qui, par association d'idées, m'a ramené à Mon père s'est perdu au fond du couloir - et justement, je viens d'en citer "La corde" http://hublots.over-blog.com/article-25901241.html - laquelle n'est jamais très loin. (Voir flou, est-ce voir moins bien ?)
Au contraire, François, bienvenue ! - d'autant plus que vous ne
vous appelez pas Philippe. (Mon précédent commentaire était pour
ms.) Ce qui est terrible, pour nous autres Philippe, c'est que ce
prénom, si commun des les années 60, est aujourd'hui complètement
délaissé, au point que pendant l'un de mes cours, un élève ayant à un
propos quelconque employé l'expression "vieux prénom", tout le monde
s'est retourné vers un malheureux petit gars que des parents
inconscients ont affublé de ce prénom, faisant de lui aux yeux de ses
petits camarades une curiosité d'un autre temps, une sorte de fossile
vivant. Quand on s'appelle Philippe, on fait d'emblée partie d'une
génération bien définie (sinon finie) ; ni lifting ni silicone n'y
pourront rien.
et imaginez un seul instant ce que c'est que de s'appeler Martine :
on vous colle d'emblée 10 ans de plus (et le drame c'est que vous les
avez !)
Tout de même, des Martine, j'en ai eu dans ma classe, en tant
qu'élève - mais c'est vrai que, passé de l'autre côté du bureau, je n'en
vois plus.
Je ne suis pas d'accord avec ms : s'appeler Martine c'est rester
éternellement jeune par association à "Martine à la plage", "Martine au
cirque", etc.
Tapez "Martine" dans Google, c'est la première chose qui apparaît.
Quant à "Philippe", je pense que c'est un peu comme pour "François" : classique et indémodable.
(Mais d'où me vient cet optimisme à propos des prénoms ?)
Tapez "Martine" dans Google, c'est la première chose qui apparaît.
Quant à "Philippe", je pense que c'est un peu comme pour "François" : classique et indémodable.
(Mais d'où me vient cet optimisme à propos des prénoms ?)
Commentaire n°15
posté par
François Matton
le 23/12/2008 à 13h21
C'est bien vrai que Martine aura éternellement le teint frais et
les joues rondes, et aussi que François est un indémodable : les petits
François sont, me semblent-ils, aussi nombreux que leurs aînés - les
Philippe, en revanche, sont vraiment en voie de disparition, et cette
catastrophe passe complètement inaperçue, nul ne s'en soucie ; certains
même peut-être s'en réjouisse - je ne suis d'ailleurs pas loin de
soupçonner là l'existence d'un complot, que dis-je, j'en suis sûr !
Comme je vois que la discussion continue, j'aimerais que vous preniez aussi en compte les Catherine dont je suis ;-)
Comptez le nombre de Catherine que vous connaissez autour de vous.....
Même quand je téléphone à des amis proches, je n'oublie pas de donner mon nom de famille sous peine de quiproquos ;-))
Comptez le nombre de Catherine que vous connaissez autour de vous.....
Même quand je téléphone à des amis proches, je n'oublie pas de donner mon nom de famille sous peine de quiproquos ;-))
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