Comment
donc se fait-il que, contraint chaque matin de manipuler les
inévitables boutons qui me restent (au moins celui de ma braguette),
rien ne vient m’empêcher ? Que se passe-t-il qui me vaut
cette apparente libération ? Le même travail intérieur sans
doute (mais remontant à un temps bien plus ancien, dont j’ai perdu
la mémoire) que celui qui encore a lieu (mais de moins en moins, à
force) face à un tableau de Renoir, maintenant que je parviens à la
maturité – la maturité qui me permet, non sans peine, de faire
face au tableau de Renoir.
Plus
jeune, vers l’adolescence, je disais que je n’aimais pas Renoir.
On s’étonnait. On me demandait pourquoi. Je ne savais pas trop
quoi répondre. Parfois, poussé dans mes derniers retranchements, je
disais juste « C’est flou. » Puis j’ai renoncé à
cet argument, qui ne convainquait pas mes interlocuteurs, et que je
trouvais moi-même bien insuffisant – quoique sincère. D’ailleurs
j’aimais Monet. Je restais fasciné devant des esquisses de Turner.
Et puis je n’ai jamais rien eu à reprocher au flou en général,
je n’ai jamais rien eu ni contre ni pour le flou.
Je
savais bien au fond de moi que ce « je n’aime pas Renoir »,
qui choquait tout le monde, ne disait pas ce qu’il y avait à dire.
Il était d’ailleurs bien faible, par rapport à ce que j’éprouvais
vraiment. Ce que j’éprouvais vraiment, c’était plutôt de la
répulsion, du dégoût. On n’éprouve pas, me semble-t-il, de la
répulsion pour les œuvres qu’on n’aime pas. (Il y a des œuvres,
des choses en général que je n’aime pas ; et rares sont
celles qui me provoquent, à proprement parler, de la répulsion). Et
cette répulsion, maintenant que j’y pense, est du même ordre que
celle que j’éprouve entre autres pour les boutons arrachés de la
chemise (surtout s’ils sont petits et vaguement nacrés, tels qu’on
les voit si souvent.) Et honnêtement, dire que « je n’aime
pas » les boutons de chemise ; non, vraiment, ça n’aurait
pas de sens.
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