ou : le syndrome de l’échantillon
Je
ne sais pas si c’est comme ça à l’étranger, mais en France et en
littérature l’étranger est clairement une valeur ajoutée.
Une histoire d’amour ou de mort, un polar ou un roman
d’apprentissage, si ça se passe dans les faubourgs de Maputo, de Punta
Arenas ou de Visakhapatnam, c’est que du bonus. La littérature, c’est
fait pour ouvrir sur le monde, alors c’est mieux si ça fait voyager.
Un roman guatémaltèque traduit directement de l’inuit, y a pas à dire,
tout de suite, ça fait envie. C’est évident, ça
ne se discute pas.
Bon.
Moi aussi j’aime bien lire des livres écrits dans d’autres langues,
avec derrière eux d’autres histoires littéraires,
évoquant des lieux, des milieux différents de celui de la Nationale
10. (Je parle de la Nationale 10 parce que moi je passe pas mal de
temps, si je fais l’addition, sur la Nationale 10. Et même
sur une portion très courte de la Nationale 10, une dizaine de
kilomètres environs, que je parcours en moyenne quatre fois par jour. Je
connais bien. Enfin, pas mal. Par exemple je peux vous dire
qu’au feu de la Grâce de Dieu, sur le terre-plein en plein milieu de
la chaussée, celui à côté duquel on s’arrête dans le sens
Paris-province, eh bien il y a un minuscule bouleau qui pousse dans
un interstice du bitume, que les employés de la voirie coupent à ras
du sol une fois par an et qui repousse quand même. En tout cas il était
là encore tout à l’heure.)
Ça ne se discute pas et c’est un sacré argument de vente. Même pour un roman en français, d’ailleurs ; c’est forcément
mieux s’il est écrit par un Suisse à l’américaine.
D’ailleurs tous les écrivains français sérieux se revendiquent des influences étrangères.
(Je
me demande toujours comment un écrivain peut oser reconnaître et avouer
ingénument avoir subi des influences sans en rougir
jusqu’au front. Moi-même j’ai subi des influences, et je sais bien
que c’est pas possible autrement mais franchement quand même j’ai honte.
S’inscrire dans une tradition comme on
dit, eh bien y a pas de quoi se vanter. D’ailleurs moi j’ai quand
même attendu quinze ou vingt ans que ça se voie moins avant d’oser
proposer un texte à la publication, on a sa pudeur.)
Tout cela est bien idiot. On croit opposer des littératures différentes – comme si tout n’était pas LA littérature –, alors
qu’on ne fait qu’opposer des représentations différentes
(et parfaitement stéréotypées) de la littérature. Qui me dit, à moi qui
ne lis guère que dans ma langue maternelle et vaguement
dans une autre, que l’infime partie de la littérature, disons,
japonaise, qui nous parvient à travers le filtre des traductions
correspond vraiment à ce que moi, si je vivais au Japon et lisais
le japonais dans le texte, j’aurais vraiment envie de lire ? Il y a
fort à craindre et cher à parier que très souvent les auteurs traduits
le soient notamment, outre leur réel talent, pour
leur conformité à une certaine idée qu’on se fait ici de ce que la
littérature doit être là-bas. Vous voyez ce que je veux dire ? Je me
rappelle à ce propos quelques mots de Gabriel
Josipovici (non, pas les mots, mais l’idée) si peu connu en France
notamment parce que son œuvre ne correspond pas à l’idée qu’on se fait
en France de la littérature anglaise contemporaine.
(Alors que Ian McEwan, par exemple, beaucoup plus connu chez nous, y
correspond aussi bien davantage. En plus, Gabriel Josipovici, il est
même pas fichu d’avoir un nom qui sente bon son
outre-manche. Heureusement qu’il y a Quidam.)
Voilà,
l’auteur étranger, vu de France, c’est un peu la synecdoque obligée
d’une littérature nationale qu’on lui impose de
représenter. Si un jour je suis publié et invité à l’étranger,
personnellement j’aimerais bien que ce ne soit pas à titre
d’échantillon.
Tout cela, il faut bien le dire, relève d’une relation bien faible à la littérature. Mettre en avant la nationalité de l’auteur,
c’est encore une manière d’éviter de parler de l’essentiel.
Cliquez donc pour voir le bouleau de la Nationale 10 immortalisé par Google Map.
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