samedi 15 décembre 2012

l’étranger comme valeur littéraire ajoutée


ou : le syndrome de l’échantillon
 
Je ne sais pas si c’est comme ça à l’étranger, mais en France et en littérature l’étranger est clairement une valeur ajoutée. Une histoire d’amour ou de mort, un polar ou un roman d’apprentissage, si ça se passe dans les faubourgs de Maputo, de Punta Arenas ou de Visakhapatnam, c’est que du bonus. La littérature, c’est fait pour ouvrir sur le monde, alors c’est mieux si ça fait voyager. Un roman guatémaltèque traduit directement de l’inuit, y a  pas à dire, tout de suite, ça fait envie. C’est évident, ça ne se discute pas.
Bon. Moi aussi j’aime bien lire des livres écrits dans d’autres langues, avec derrière eux d’autres histoires littéraires, évoquant des lieux, des milieux différents de celui de la Nationale 10. (Je parle de la Nationale 10 parce que moi je passe pas mal de temps, si je fais l’addition, sur la Nationale 10. Et même sur une portion très courte de la Nationale 10, une dizaine de kilomètres environs, que je parcours en moyenne quatre fois par jour. Je connais bien. Enfin, pas mal. Par exemple je peux vous dire qu’au feu de la Grâce de Dieu, sur le terre-plein en plein milieu de la chaussée, celui à côté duquel on s’arrête dans le sens Paris-province, eh bien il y a un minuscule bouleau qui pousse dans un interstice du bitume, que les employés de la voirie coupent à ras du sol une fois par an et qui repousse quand même. En tout cas il était là encore tout à l’heure.)
Ça ne se discute pas et c’est un sacré argument de vente. Même pour un roman en français, d’ailleurs ; c’est forcément mieux s’il est écrit par un Suisse à l’américaine.
D’ailleurs tous les écrivains français sérieux se revendiquent des influences étrangères.
(Je me demande toujours comment un écrivain peut oser reconnaître et avouer ingénument avoir subi des influences sans en rougir jusqu’au front. Moi-même j’ai subi des influences, et je sais bien que c’est pas possible autrement mais franchement quand même j’ai honte. S’inscrire dans une tradition comme on dit, eh bien y a pas de quoi se vanter. D’ailleurs moi j’ai quand même attendu quinze ou vingt ans que ça se voie moins avant d’oser proposer un texte à la publication, on a sa pudeur.)
Tout cela est bien idiot. On croit opposer des littératures différentes – comme si tout n’était pas LA littérature –, alors qu’on ne fait qu’opposer des représentations différentes (et parfaitement stéréotypées) de la littérature. Qui me dit, à moi qui ne lis guère que dans ma langue maternelle et vaguement dans une autre, que l’infime partie de la littérature, disons, japonaise, qui nous parvient à travers le filtre des traductions correspond vraiment à ce que moi, si je vivais au Japon et lisais le japonais dans le texte, j’aurais vraiment envie de lire ? Il y a fort à craindre et cher à parier que très souvent les auteurs traduits le soient notamment, outre leur réel talent, pour leur conformité à une certaine idée qu’on se fait ici de ce que la littérature doit être là-bas. Vous voyez ce que je veux dire ? Je me rappelle à ce propos quelques mots de Gabriel Josipovici (non, pas les mots, mais l’idée) si peu connu en France notamment parce que son œuvre ne correspond pas à l’idée qu’on se fait en France de la littérature anglaise contemporaine. (Alors que Ian McEwan, par exemple, beaucoup plus connu chez nous, y correspond aussi bien davantage. En plus, Gabriel Josipovici, il est même pas fichu d’avoir un nom qui sente bon son outre-manche. Heureusement qu’il y a Quidam.)
Voilà, l’auteur étranger, vu de France, c’est un peu la synecdoque obligée d’une littérature nationale qu’on lui impose de représenter. Si un jour je suis publié et invité à l’étranger, personnellement j’aimerais bien que ce ne soit pas à titre d’échantillon.
 
Tout cela, il faut bien le dire, relève d’une relation bien faible à la littérature. Mettre en avant la nationalité de l’auteur, c’est encore une manière d’éviter de parler de l’essentiel.
 
 

Cliquez donc pour voir le bouleau de la Nationale 10 immortalisé par Google Map.
 
(Et ce matin je me rends compte que j'ai oublié de rappeler l'évidence : la littérature est toujours étrangère. Voilà, c'était le post-scriptum du dimanche matin.)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire