Boris avait un poil qui dépassait de sa narine droite mais ça restait très discret.
– De toutes façons, on passe pas par le centre-ville, on prend le pont de Cheviré.
Emmanuelle était la seule à avoir remarqué le poil. Dans certains vieux films, les hommes se les arrachaient avec une espèce de
pince à épiler.
– Peut-être, mais ta mère va pas être contente.
– Elle n’en saura rien.
Emmanuelle remonta sa vitre.
– Elle le saura par Cécile, tu sais bien qu’elles sont entre cul et chemise toutes les deux.
Emmanuelle ne parvenait pas à mémoriser les expressions toutes faites. Elle disait : Se regarder en chien de fusil et Se
coucher en chien de faïence. Elle avait un problème avec le figuré.
– Elle ne sont plus comme cul et chemise justement, elles se sont engueulées le week-end dernier. Ma mère avait mis du poivre
dans sa quiche au thon, Cécile l’a mal pris.
– Elle est vachement susceptible ta sœur.
– Elle est allergique.
– Ça te dérange pas si je dors un peu ? Parce que je somnole là, je tiens plus.
– Attends, Emmanuelle, on va bientôt s’arrêter, y a une aire dans 3000 mètres.
– Je dors juste 3000 mètres alors.
Elle
fermait les yeux mais ça se pressait sous ses paupières. Des pattes, du
velu, du mouvant, du noir. Et puis, il y avait
l’autre conne de bestiole qu’elle sentait toujours derrière elle,
sur la banquette arrière. L’intruse n’avait plus rien de menaçant.
Plutôt une grande peluche. C’est la situation qui était
effrayante. Ça ne passait pas. Emmanuelle ne pouvait pas dormir. On
l’empêchait de dormir. On l’énervait de l’intérieur. Elle ne voulait
rien montrer à Boris qui conduisait. Si elle provoquait un
accident, elle s’en voudrait. Leur voyage se passait bien, en
amoureux. Ça faisait longtemps qu’ils n’étaient pas partis tous les
deux. Mais là, ils étaient trois. C’est peut-être pour cela
qu’Emmanuelle ne lui en parlait pas. C’était une question de nombre.
Boris n’aurait pas été content, il n’y avait pas de place pour trois
dans la tente Décathlon.
Emmanuelle
ne pleurait pas, ses joues étaient sèches, mais des larmes coulaient à
l’intérieur, sur la surface interne de sa
peau. La surface invisible. C’est comment de ce côté-là ? Elle avait
vu une fois une peau de visage décollée, dans un reportage sur la folie
du lifting au Brésil. C’est comme quand on dépèce
un lapin, qu’on lui enlève son pyjama.
Gaëlle Bantegnie, Voyage à Bayonne, L’Arbalète Gallimard, 2012, p. 78-80.
Commentaires
au bout, entrée de Bayonne, le pont Saint Esprit, mais quand on a "du mal avec le figuré" presqu'un mirage
Voilà. (Je suis content de mon titre - même si ou parce qu'il n'est
qu'une citation - car plus j'y pense plus je me dis que c'est une bonne
clef pour ce livre.)
Réponse de
PhA
le 30/12/2012 à 17h5
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