Il
continue il parle de nos origines, que les Cheval on est dans le manège
depuis le dix-neuvième siècle, que ça, que si, je connais
par coeur. Il mesure un mètre soixante-cinq il pèse quarante kilos
il a des mains des pieds immenses, des touffes de poils drus dans le
nez, dans les oreilles, ça lui fait un côté chien. À le
voir on sait pas quel âge il a, quarante soixante ?
On va bien démarrer la saison, il dit. En avance je te parie. Demain je me lève tôt et je m’attaque au moteur.
Il
parle du moteur de notre camion, un Rochet-Schneider 1951, avec une
savoyarde car on l’a acheté à un déménageur, c'est le dernier
modèle fabriqué, avec le pare-brise coupé en deux, du type 475 VLE,
quatre cylindres diesel à injection directe. On surnomme nos camions nos
bagnoles on vit avec c’est normal. Papa voulait
l’appeler le Prudent c’était le nom du déménageur et papa trouvait
que ça allait bien avec le problème des accidents de la route mais pour
moi ça faisait vieux jeu, j’aimais bien le 475 ça
faisait canon mais c’était long à dire, on est tombé d’accord pour
l’appeler le 4.75 à cause du 4.21 auquel on jouait au comptoir des
Menteurs, un café où on va de temps en temps. Le 4.75 a fait
neuf fois le tour de la terre avec dix tonnes de surcharge au bas
mot. Sur les bosses des plaques de rouille se détachent de la
carrosserie, des fois on en prend dans les yeux ça aveugle et ça
crame comme du poivre, le voyant des freins est toujours au rouge,
on roule comme ça dans une sorte de foi idiote dans la mécanique.
Après on aura plus qu’à donner un coup de peinture et ça repartira il dit papa après un silence.
Ça
repartira peut-être mais en attendant il perd ses cheveux et dort avec
son chapeau, si j’avais pas de père j’aurais
du bol. Les orphelins je les envie, ils gagnent le tiercé à tous les
coups. Moi avec mon père je fais quoi ? On va démarrer la saison en
avance ça veut dire que je vais me barrer de l’école
sans rien dire comme d’habitude, j’ai pas passé le certificat
l’année dernière et quand j’arriverai au BEPC avec douze ans de retard
je le passerai pas non plus.
T’as quel âge au fait ?
Quatorze bientôt sur une carte d’identité, douze sur une autre, dix-huit sur le permis de conduire.
On vit
comme on peut, faut se débrouiller ici à Saint-Ambert j’ai quatorze ans
à cause de l’école et des aides de la mairie pour les
adolescents scolarisés, à la Préfecture qui balance un gros pactole
pour les attardés mentaux j’ai douze ou treize ans je sais plus, et sur
la route j’en ai dix-huit à cause du permis, il y
aurait une aide pour les barbus cul-de-jatte de vingt-cinq ans je
serais barbu et j’aurais des béquilles.
Richard Morgiève, Cheval, Denoël, janvier 2009, p. 15-17.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire