Tu sens bien qu’il y a toutes sortes de choses, d’ailleurs, qui persistent autour de toi, dans ta vie, avec ta
bénédiction, ou du moins ton accord tacite, et qui n’ont plus de raison
d’être – sinon
de rappeler, telles des traces, des fossiles discrets, qu’ici ou là
quelque chose a existé et n’est plus. Tu regardes autour de toi, tu
cherches vaguement des pendules en panne, des livres lus,
des bouquets fanés ; et si elles t’échappent encore, ces traces,
c’est parce qu’elles sont plus imperceptibles encore, ou que ton regard
n’est pas assez affûté.
Il
s’arrête, soudain, ton regard, il croit avoir trouvé sa proie : un
dessin de toi, de l’époque où tu dessinais,
que tu avais pris la peine d’encadrer, est encore accroché au mur du
couloir. Certes il a occupé de meilleures places, dans tes appartements
précédents, pourtant nettement moins vastes. Tu te
souviens que quand tu l’as accroché ici, au moment de ton
emménagement, tu t’es dit que le trait était bien pâle, qu’il fallait
pouvoir le regarder de près, que la distance ne lui valait
rien. Et c’est vrai qu’il est pâle, maintenant que tu le regardes,
vraiment, pour la première fois peut-être depuis que tu habites ici, et
peut-être depuis plus longtemps encore : la couleur
bleu vif dont tu crois bien te souvenir a viré à une sorte de gris
vaguement bleuâtre, la plupart des détails, dont tu te souviens encore
nettement, ont presque disparu ; il est clair que
l’encre que tu as utilisée était de mauvaise qualité. Cependant, ce
n’est pas vraiment l’effacement du dessin qui t’intrigue ; c’est le fait
que toi, qui es passé devant tous les jours, tu
ne t’en sois pas rendu compte, que tu ne t’en sois rendu compte
qu’une fois le processus pour ainsi dire achevé, et le bois doré
encadrant une feuille quasi blanche.
Par temps clair, p.
79-80
Parce que celui-là, dernier publié pourtant, je me rends compte à l’improviste
qu’il
est déjà bien effacé lui aussi, de ma mémoire – conformément (plus
qu’une coïncidence) à son propos. Il a déjà cédé la place, il y a
longtemps.
Mais l'effacement est le lot commun, plus ou moins partagé, de tous les livres - de plus en plus -, et l'auteur lui-même, passant à un autre, n'y pense plus vraiment.
(très bel extrait)
(Je fais mon positiviste, mais je n'ai rien contre les plaintes. D'autant que je suis en train de lire les Tristes... (pas la traduction de Darrieussecq, celle de Danièle Robert (Darrieussecq m'a donné envie de le lire, c'est déjà bien)).
En fait, ce n'est pas vraiment de la plainte : mon regard sur l'effacement est plutôt de l'ordre de la curiosité ; c'est comme regarder la neige qui fond, une tragédie de (bonne) compagnie.
Juste aussi ce que vous dites sur l'avant et l'après.
http://thibault-balahy.over-blog.com/article-26474025.html