Cheval
est un nom propre assez commun. Il sonne mal cependant quand on le met
au pluriel : « les Cheval », franchement,
de quoi ça a l’air ! Et justement, Cheval, c’est au pluriel qu’il
faut le lire ; au duel plutôt si le nombre existait en français : parce
qu’ils sont deux, les Cheval, deux en un
seul nom, père et fils, et ce pluriel pour le fils narrateur est une
souffrance – au moins dans l’instant. Inséparables, les Cheval,
pédalant à l’occasion sur le même « gentleman » –
c’est comme ça qu’ils appellent leur tandem, pas fichus d’avoir deux
vélos. Et même quand il est tout seul, le fils Cheval dans ses virées, à
cheval sur son tandem ; même tout seul il n’est
jamais seul. C’est aussi qu’ils vivent à la marge, les Cheval, à la
marge de Saint-Ambert ; ça a beau s’appeler les Quatre Saisons, chez
eux ; ça tombe en ruines, et à côté c’est la
décharge. La saison, la bonne, elle commence en juin : c’est celle
du manège, car les Cheval sont forains, de père en fils. Pour le coup,
ça tomberait bien, de s’appeler Cheval ! Pas de
chance, Papa a remplacé les chevaux de bois par des soucoupes
volantes, pour suivre la mode ; de toutes façons, les manèges ça tourne
en rond.
Au-delà
de la question du nom, qui personnellement me touche (mettre ou ne pas
mettre un nom sur la chose la personne et lequel, ça
reste ma question) (et du prénom, tiens : déjà un qui veut ne pas
s’appeler Philippe – pourtant on n’est qu’en 1960), Cheval
est aussi un beau
roman, émouvant. J’en oublierais facilement de dire (je ne le
remarque qu’après coup, j’ai pourtant eu des cours là-dessus) que c’est
un roman de formation ; l’histoire d’un jeune gars qui
devient adulte – après l’avoir déjà été enfant, nuance bonne à
préciser. Et tout ce que ça implique bien sûr dans le rapport au père, à
la mère ignorée ; le rapport au sexe aussi ; je
passe mais ça donne de beaux passages. J’oublierais presque de
parler de l’écriture, au service d’une proximité avec le personnage ;
grâce à la première personne, grâce au présent, et à un
jeu entre parole et pensée souligné par la typographie ; sorte
d’oralité plate pour les dialogues brefs très vrais comme superposés au
récit, celui-là devenant par contraste pensée parlée
qui s’emballe (la virgule sait disparaître juste quand il faut) ;
c’est un brin lyrique même comme notre
adolescence, cet âge qui n’en est pas un – Cheval qui ne veut pas
s’appeler Philippe ignore le sien. Mais pour moi qui ne suis pas trop un
lecteur d’histoires racontées (sauf
tout de même parfois à l’occasion si…), ce qui fait que ça marche ;
c’est peut-être aussi parce qu’on sent beaucoup de plaisir dans cette
voix derrière la voix (une impression comme en
écoutant un chanteur de soul) ; un plaisir triste et beau qui se
communique. Bon ; c’est vrai qu’on pourrait trouver qu’on reste un peu
sur sa faim à la fin (ouverte, forcément),
peut-être… mais somme toute, est-ce que ça n’est pas bon signe ?
@ Pascale : Et ce n'est pas mon prochain Liquide qui te démentira...