Et lors, sautant du rempart comme Vipère-d’une-toise le savoit faire, un
freluquet nommé Brucelet, s’accrochant de son poids sur un arbre qui
plie et le relance, part les pieds devant,
roide et long comme un estoc volant, en plein sur la teste du
bastard. Icelui, déjà navré la veille, affaibli, gicle des estriers et
s’abat lourdement à six pas de son cheval, tremblant la
terre. Brucelet va pour le prendre quand sortent comme de
taupinières, dix hommes armés de la garde rapprochée du bastard, le
cernant orains entour du corps de leur capitaine.
Brucelet
ne s’effroye, ne s’affole. Tourne sur ses pieds, lentement, jauge les
hommes. Pousse le bastard assommé qui
roule par en bas, dégage la place. Par ensuite, emmi les dix qui le
bordent, oeilz dans les oeilz, il ôte surcot et chemise et ainsi se
tient-il, en chausses noires, nu torse et vides les poings
devant les armes défeurrées des dix hommes couverts de cuir. Les
mains par devant, ouvertes et tenues, les cinq doigts comme des griffes.
Sa membrature est ferme et blanche, ses épaules roulent
sous sa peau. D’emblée un homme par derrière lui s’élance, lame
levée. Brucelet se ramasse, arme son coude et le lasche fort dans
l’estomach de l’attaquant, au fois du corps, icelui tombe d’un
coup, souffle court et coupé. Lors Brucelet fait un petit bond
d’avant et sautillant devant les aultres bouches bées, à petits pieds,
lance un miaulement de chat fol, échaudé, de sorcerie de
bûcher qui résonne sur les murs et dresse tous poils. Quand le cri
retombe, trois devant lui se lancent ensemble à la charge, deux coups de
pied, tendus levés, un coup de poing, ils roulent à
terre. Deux aultres aux costés, demi-tour sauté, ung par ung, genou
sur la face, écrasée, manchette au haterel puis enchaînés sur ce gros
qui ne tombe mais recule, coups de pied au ventre, au
foie, à l’aine, crochet sous le nez. Brucelet bondit en sault
d’arrière enroulé, esquive une épée, bloque le bras qui la tient et
force un coup sec. On entend craquer l’os. L’homme hurle.
Vipère-d’une-toise depuis le rempart hoche le chef et commande :
– Kung-fu du thé !
Brucelet
se met en garde basse, puis s’appuie sur la main et jette en cercle
autour de lui ses jambes tenues roides, ce
faisant, frappe aux genoux deux hommes qui s’effondrent. Lors le
gros se relève, la bouche en sang, furyeux, charge à corps perdu lance
par devant. Brucelet la dévie de son torse par un coup
d’avant-braz. Elle s’en va ficher à vingt pas. Et lors :
– Paume de sagesse !
Lançant
sa main ouverte sur le poitrail de son ennemy, il prend un élan qui le
porte droit, et souffle la grosse masse de l’homme
désarmé, long de chemin, deux pieds en sus du sol. Et s’éboule à la
fin le gros homme qui tape, toujours debout, sur un tronc de chêne,
lequel d’abord encaisse, puis craque, et tous deux
s’abattent dans un grand bruit de branches. Brucelet en deux bonds
est à nouveau dans la place. Accroche l’air de ses doigts et du haut en
bas, tire vers lui la force du ciel en miaulant
derechef. Les deux gardes du bastard encor sur pieds, entendant cela
et voyant le reste, jettent les armes et talonnent dans la plaine, plus
vitement se peut-il que cerf chassé à courre poursuivi
par les veautres.
Céline Minard, Bastard
Battle, (LaureLi Léo Scheer), p. 99-100.
Si j’étais un lecteur plus sérieux, je devrais me fendre d’une fine analyse plutôt que de recopier un passage ; mais pas
possible : quand je lis ça, j’ai huit ans – et rangez vos bibelots fragiles !
Les
premières pages, on peut les lire ici.Et ici, écouter l’auteur (on peut
essayer d’abord sans le son – pour apprécier son air sage – puis avec…)
Paraîtrait qu’il existerait de ce livre une édition "bizarre" (et rare)...
Paraîtrait qu’il existerait de ce livre une édition "bizarre" (et rare)...
(Et je profite de mon soudain rajeunissement pour remercier Laurent de m’avoir tenu la main pendant ces premiers
pas sur la toile – alors qu’il en a bien d’autres à tenir, plus mignonnes que la mienne.)
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