Voici les tables disposées, dans le prolongement l’une de l’autre, recouvertes de l’indispensable linge blanc. Cela fait
une belle tablée, que nous contemplons avec contentement.
Le
décor non plus n’est pas sans charme : admirez plutôt ce hall ancien,
aux murs recouverts de peintures aux
motifs à demi effacés, aux plafonds moulés. Bien sûr il est ouvert
des deux côtés (l’un des côtés donne probablement sur une cour
intérieure, l’autre directement sur la rue) : c’est un
passage, et en effet il est assez passant. Il ne faut pas cependant
se laisser arrêter par de petites nuisances.
J’ai
oublié mes victuailles, mes provisions dans la glacière, dans le coffre
de la voiture. Elle est garée un peu
loin : les places sont chères, par ici, en pleine ville. Quittant la
compagnie, je m’y rends, conscient de ma négligence. En effet il n’y
avait là que des produits congelés. Dans quel état
vais-je les retrouver ?
Voici la voiture – je crois bien reconnaître ma vieille Renault 19 rouge, qu’en pensez-vous ? Juste à côté,
sagement attablé à la terrasse d’un café, le petit enfant mécanique est là, oublié lui aussi.
Je
récupère les provisions et je les rapporte vite fait (vous comprenez :
je ne peux pas tout emporter en même
temps). D’ailleurs la décongélation, je le sens d’une simple
pression entre mes doigts, est largement commencée. J’ai de quoi
m’inquiéter.
Cependant, c’est curieusement une baguette toute fraîche, figurez-vous, comme juste sortie du four du boulanger, que je
dépose sur la nappe blanche.
Maintenant, je me dépêche d’aller enfin rechercher le petit enfant mécanique, objet de toutes mes
négligences.
Il est toujours là, à côté de la voiture, assis devant une des petites tables rondes dont le cafetier a encombré
l’étroit trottoir, en compagnie d’autres enfants apparemment du même âge. Ses cheveux mal peignés sont lisses et très noirs, un peu trop longs à mon
goût.
Je me penche gentiment vers lui, je lui parle avec douceur. Une dame, qui assiste à la scène, en sourit, attendrie. Vous
devez sans doute la trouver bien indulgente à mon égard.
« Ton cartable est-il bien fermé ? » L’enfant hoche la tête. Je vérifie tout de même : son cartable
est sur son dos.
Il
est temps maintenant d’y aller. Je le prends par la main pour
l’emmener. Un de ses petits compagnons de table
proteste dans son baragouin enfantin. C’est un tout petit garçon un
peu gros, brun, aux cheveux courts. Il ne doit pas avoir trois ans.
« Téléphoner ! téléphoner !… phoner !… » Il est très énervé, il ne semble pas décidé à laisser
s’en aller son nouvel ami sans protester, sans au moins obtenir la garantie de pouvoir le revoir.
Je consulte l’enfant mécanique. Que souhaite-t-il ? Il reste un moment silencieux, il semble réfléchir.
Manifestement, lui aussi s’est attaché à l’autre enfant.
Pendant qu’il réfléchit, je regarde sa joue. Elle est marquée d’une grosse tache sombre et brillante. Est-ce de la
saleté ? Je pense aussi à une ecchymose. (J’y pense, tout en sachant pertinemment que cela ne peut pas
en être une.) Plus gravement et plus
simplement, n’a-t-il pas été endommagé ? vous demandez-vous sans
doute. Sa matière en effet n’aurait-elle pas fondu sous l’effet d’une
chaleur excessive ? Quelle que soit en tout cas la
nature de ce dégât, j’y suis forcément pour quelque chose, au moins
par ma négligence. Que va dire… ma femme ?
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