Vendredi 7 août 2009
Alors que le travail sur un livre
futur (qui ne sera pas le prochain) me donne l’envie de découvrir ces
« épisodes cliniques », expérience personnelle de Clément Rosset dont
son psychiatre a eu la bonne idée (au moins pour moi) d’encourager la
publication…
Je commence à comprendre que
c’est précisément dans la mesure où ils sont – normalement –
« anodins » que ces rêves sont perçus comme angoissants, en tant
qu’étrangers à moi. Tout se passe comme si la thèse de Freud qui relie le
travail de rêve au travail du jour s’y annulait, comme si le matériel du rêve
n’avait absolument rien à voir avec tout ce qui a pu m’occuper (ou me
préoccuper) la veille. D’où cette angoisse : ce ne sont pas mes rêves, je
n’en ai rien à cirer (pour m’exprimer vulgairement), et récuse donc la réalité
qu’ils suggèrent car je n’en ai rien à faire puisque ce n’est pas ma réalité.
Effet très angoissant, à la fois de dépersonnalisation et de déréalisation,
provoqué par ces rêves (h 4) que je récuse l’un après l’autre sans tomber enfin
sur un qui m’« aille », comme on dit d’un habit qu’il vous va, et à
partir duquel je puisse me rendormir pour de bon.
Je pense (…) que ces rêves sont
un retour en force d’une mystérieuse angoisse maîtrisée pendant le jour.
Bien difficile, au réveil, de
refaire surface et de retrouver le contact avec soi et avec la réalité.
Clément Rosset, Route
de nuit (Episodes cliniques), Gallimard, L’Infini, 1999, p.
33-34.
… j’y découvre (et cela je ne m’y
attendais pas) ce que je ne peux m’empêcher de lire – égocentrique lecteur –
autrement que comme un commentaire prémonitoire de mon récent Liquide :
Après une pénible sieste (vers 20
h 30) je m’interroge sur le caractère pénible de ce mi-sommeil et en reviens à
ce sentiment de déréalisation ou plutôt de dépersonnalisation dont j’ai parlé
plus haut. On dirait que la blessure d’abandon (je veux dire le sentiment
d’avoir été abandonné, qu’il s’agisse d’amour maternel ou de l’amour tout court
qui prend le relais du premier et qui, s’il vient à défaillir, revient à un
abandon de la mère même si celle-ci, pour sa part, vous a constamment aimé)
entraîne une déconstruction de la personnalité, une sorte d’effacement du moi,
– assez semblable, je le suppose, chez le licencié de quelque travail, qui fait
souvent une dépression du même ordre : « on n’a plus besoin de
vous » signifiant qu’« on ne vous aime plus ». C’est pourquoi
« je » ne puis m’endormir tranquille, puisqu’il est maintenant fort
douteux que j’existe. Ce que j’expérimente va ainsi au-delà d’une simple
« dépression » et pourrait plutôt être décrit comme « psychose
lucide » : une destruction du moi minutieusement observée par ce qui
reste de solide dans le moi. Il est d’ailleurs probable que c’est le sort de
beaucoup de dépressions nerveuses que de flirter ainsi, parfois assez
dangereusement, avec la psychose.
Idem, p. 90
(Du coup, et accessoirement, je
me demande ce qu’aurait été ce roman si, au lieu de faire du protagoniste un
homme quitté, j’en avais fait un licencié. Différence accessoire en effet,
anecdotique, qui n’aurait changé que la surface du livre – et il est probable
que pour bien des lecteurs pourtant cette différence aurait compté.)
Oui, c’est donc un vieux billet
que j’avais oublié de remettre sur mes nouveaux Hublots et sur lequel je viens
de tomber. J’en refais un neuf juste pour le plaisir, jugez plutôt :
Clément Rosset qui dans un très beau livre écrit l’une des plus pertinentes
présentations d’un livre qu’à l’époque je n’ai pas encore écrit (Liquide)
dans cette Route de nuit que je lisais donc en 2009, tout en travaillant
« sur un livre un livre futur (qui ne sera[it] pas le prochain) »
mais qui l’est à présent puisqu’il s’agit de mes Mémoires des failles à
paraître ce printemps aux éditions de l’Attente.
En prime je rajoute tous les
commentaires de l’époque, avec notre cher Depluloin avant même l’ouverture de
son blog et Didier da qui nous joue la Pièce brève et interminable rêvée par Clément Rosset et qui clôt cette Route
de nuit.
Commentaires
Ah, c'est très bien, Route de nuit.
Du coup je l'ai rouverte et je me suis dit que ce devait être frustrant de ne pas pouvoir entendre la Pièce brève et interminable qui la clôt, alors ni une ni deux je te l'ai enregistrée. C'est ici.
Du coup je l'ai rouverte et je me suis dit que ce devait être frustrant de ne pas pouvoir entendre la Pièce brève et interminable qui la clôt, alors ni une ni deux je te l'ai enregistrée. C'est ici.
Oh ça c'est formidable Didier, Merci !
J'ai conservé un très bon souvenir de Route de nuit,
mais aucun de la mention de cette Pièce brève et interminable. C'est
magnifique. Merci à vous deux.
Commentaire n°3
posté par François Matton le
07/08/2009 à 17h10
Elle est issue d'un rêve de l'auteur, accompagnée des
paroles sans fin "tu seras mon amour". Rosset dit lui-même - ça nous
parlera à tous les trois, je crois - que cette musique résonne pour lui
"de manière aussi funèbre que celle qui annonce à l'avance la mort*, par
piqûre empoisonnée, des maharadjahs qui luttent contre les trafiquants de
drogue, dans les Cigares du Pharaon de Hergé."
* C'est l'occasion de signaler que chez Hergé cette musique n'annonce pas la mort, mais la folie.
* C'est l'occasion de signaler que chez Hergé cette musique n'annonce pas la mort, mais la folie.
C'est dingue !
ou un célibataire - croire qu'assez nombreux finalement sont
ceux qui connaisse cela est une façon un peu dérisoire de se donner un poids,
une existence même si toute solidarité est exclue
Je vous croyais parti jusqu'en septembre, grave erreur. Les
vacances sont-elles donc finies pour vous ? Pour moi elles débutent
aujourd'hui.
Commentaire n°7
posté par Frédérique M le
07/08/2009 à 23h32
C'est connu : nous sommes les plus mauvais interprètes de
nos rêves. Et il est toujours surprenant de voir comment certains esprits réputés
brillants peuvent patauger ou se noyer dans un verre d'eau - ce qui n'est pas
le cas de Rosset. Mais Ionesco par exemple, sur la fin de sa vie, ne comprenant
rien ou presque à des rêves qui semblent pourtant les fantomes même de ses
œuvres. Pour sa défense, on sait que le rêve "utile" à la recherche
de la névrose se détériore avec l'âge - et l'alcool. En résumé : n'ayons pas
peur de nos rêves, ils ne mordent pas.
Commentaire n°8
posté par Depluloin le 08/08/2009 à 19h55
Pour ma part, que ferais-je sans eux !
(@ Frédérique : Bonnes vacances !)
(@ Frédérique : Bonnes vacances !)
Je me suis mal exprimé - cette peur d'envahir le blog. Le
rêve ne mord pas : c'est la morsure qui mord. Et qui crée le reste. Si un
écrivain n'avait pas de rêves, de ces rêves qui minent au moins la journée -
peu importe l'interprétation possible, véritable ou non, on s'en fiche. Ça
n'est pas ce que je voulais dire. Je voulais dire ceci : le rêve n'est pas
immédiatement, brûtalement, véritablement; il est comme les greniers de nos
enfances, source de curiosités, de terreurs, et de découvertes secrètes. Et
aussi un repos, une évasion. Sans le rêve, si terrifiant soit-il, il n'y aurait
point de réel.
Ah mon cher PhA, comme je vous crée du souci.
(Pensez à un correcteur automatique, je suis trop fatigué.)
Ah mon cher PhA, comme je vous crée du souci.
(Pensez à un correcteur automatique, je suis trop fatigué.)
Commentaire n°10
posté par Depluloin le 09/08/2009 à 01h55
Aucun souci, cher Depluloin ; ces Hublots ne redoutent pas
votre invasion !
J'ai eu la bonne idée de cliquer sur Cl. Rosset que j'ai eu
l'occasion d'entendre dans les NCC, et que j'admire mais pas autant que R.
Enthoven qui lui, le vénère. Pour ce qui est de l'expérience en psychiatrie
d'un auteur, Artaud est aussi une étude passionnante.
Ce blog est une mine de renseignements fort intéressants.
(et je m'en vais poursuivre ma soirée avec votre "regard").
J'attendrai d'avoir lu les trois livres pour vous donner mes impressions.
Je devrai recevoir Liquide lundi.
Ce blog est une mine de renseignements fort intéressants.
(et je m'en vais poursuivre ma soirée avec votre "regard").
J'attendrai d'avoir lu les trois livres pour vous donner mes impressions.
Je devrai recevoir Liquide lundi.
Commentaire n°12
posté par Ambre le 26/12/2009 à 23h38
Bonne lecture et merci !
Réponse de PhA le
27/12/2009 à 12h48
Vous voudrez bien un rafraîchissement ? http://youtu.be/1YN4bWDSFDo
RépondreSupprimer(Tu sais quoi : je crois que j'aime vraiment ce rêve.)
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