L’épouvante
est au coin de la rue. Ou pourquoi pas dans un vestiaire de piscine
quasi désert. Les protagonistes : d’un côté
trois marmots, trois quatre ans tout au plus, grands yeux bleus et
tignasse blonde toute bouclée, les bras dans les brassards à fleurs ou à
canards selon le sexe. De l’autre, un homme à la
stature impressionnante, mal rasé, crâne tondu, l’œil noir – façon
de parler, ce quasi cyclope en a quand même deux. Et voilà que ces trois
marmots, que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam, car même
en slip de bain vous m’avez reconnu, se précipitent vers moi en
battant des ailes comme des canetons – impossible en effet avec ces
brassards de garder les bras le long du corps. En quelques
secondes, je suis cerné. Ils sont trois, donc ; deux garçons et une
fille, ou plutôt un garçon et deux vrais jumeaux de sexe différent, mais
oui je sais bien que ça n’existe pas mais je sais
bien aussi ce que j’ai vu : deux enfants identiques, je dis bien
identiques, sauf par le sexe. A moins que les parents n’aient trouvé que
le travestissement de l’un pour le distinguer de
l’autre, qui sait. En tout cas ils ont le même visage avec ces
grands yeux bleus écartés sous les mêmes bouclettes blondes. D’ailleurs
l’autre garçon a aussi le même visage, mais ses bouclettes
sont un peu plus foncées et il est un peu plus grand. Ou plutôt un
peu moins petit. Quelles sont leurs intentions ? Leurs visages sont
souriants, mais ça n’est pas rassurant pour autant.
Qu’ont-ils besoin de sourire, d’ailleurs ? Qu’y a-t-il de si
réjouissant dans leur situation, seuls dans un vestiaire de piscine avec
un géant inconnu ? Mais déjà et sans tarder ils ont
pris la parole. Ils s’expriment dans un français châtié. Malgré leur
très jeune âge, ce n’est pas à eux que viendrait l’idée de tutoyer un
monsieur inconnu. Leurs intentions, à les entendre,
c’est de connaître les miennes. « Alors vous venez à la piscine ? »
« Pour quoi faire ? » « Vous avez fini ? » « Votre voiture, elle est de
la
marque Citroën ? » « Vous prenez vos chaussures ? » (En effet, je
suis en train de prendre mes chaussures, c’est contre mon casier que le
trio m’a acculé.) « C’est
une Peugeot, votre voiture ? » Et tout ça sans cesser de me fixer de
leurs immenses yeux bleus au-dessus du même sourire imperturbable.
Heureusement j’ai pu me glisser avec mes affaires
dans l’interstice d’une cabine toute proche.
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