samedi 10 mai 2014

L’épouvante est au coin de la rue.

L’épouvante est au coin de la rue. Ou pourquoi pas dans un vestiaire de piscine quasi désert. Les protagonistes : d’un côté trois marmots, trois quatre ans tout au plus, grands yeux bleus et tignasse blonde toute bouclée, les bras dans les brassards à fleurs ou à canards selon le sexe. De l’autre, un homme à la stature impressionnante, mal rasé, crâne tondu, l’œil noir – façon de parler, ce quasi cyclope en a quand même deux. Et voilà que ces trois marmots, que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam, car même en slip de bain vous m’avez reconnu, se précipitent vers moi en battant des ailes comme des canetons – impossible en effet avec ces brassards de garder les bras le long du corps. En quelques secondes, je suis cerné. Ils sont trois, donc ; deux garçons et une fille, ou plutôt un garçon et deux vrais jumeaux de sexe différent, mais oui je sais bien que ça n’existe pas mais je sais bien aussi ce que j’ai vu : deux enfants identiques, je dis bien identiques, sauf par le sexe. A moins que les parents n’aient trouvé que le travestissement de l’un pour le distinguer de l’autre, qui sait. En tout cas ils ont le même visage avec ces grands yeux bleus écartés sous les mêmes bouclettes blondes. D’ailleurs l’autre garçon a aussi le même visage, mais ses bouclettes sont un peu plus foncées et il est un peu plus grand. Ou plutôt un peu moins petit. Quelles sont leurs intentions ? Leurs visages sont souriants, mais ça n’est pas rassurant pour autant. Qu’ont-ils besoin de sourire, d’ailleurs ? Qu’y a-t-il de si réjouissant dans leur situation, seuls dans un vestiaire de piscine avec un géant inconnu ? Mais déjà et sans tarder ils ont pris la parole. Ils s’expriment dans un français châtié. Malgré leur très jeune âge, ce n’est pas à eux que viendrait l’idée de tutoyer un monsieur inconnu. Leurs intentions, à les entendre, c’est de connaître les miennes. « Alors vous venez à la piscine ? » « Pour quoi faire ? » « Vous avez fini ? » « Votre voiture, elle est de la marque Citroën ? » « Vous prenez vos chaussures ? » (En effet, je suis en train de prendre mes chaussures, c’est contre mon casier que le trio m’a acculé.) « C’est une Peugeot, votre voiture ? » Et tout ça sans cesser de me fixer de leurs immenses yeux bleus au-dessus du même sourire imperturbable. Heureusement j’ai pu me glisser avec mes affaires dans l’interstice d’une cabine toute proche.

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