Le rêve d’émancipation prend forme avec le baiser comme étape majeure. Pour cette raison, les légendes sont truffées de baisers
manqués, jamais advenus.
Pourquoi les fillettes doivent-elles être jolies sans être aguicheuses, séduisantes mais pas séductrices ?
D’où
vient cette réserve dans la prière, le vêtement, le regard baissé ? Le
chemin vers la délivrance est long. Une fois
franchi, le baiser explose. Les petites insomniaques devront
attendre, le pot de chambre intact sous le lit, anxieuses, ignorant
qu’un garçon embrassé n’a pas les pieds fourchus. Elles
n’imaginent pas encore l’amour anatomique, refusent la mise en
contact des corps.
Le
signal arrive enfin comme une révélation, lorsque Dieu s’éloigne, on
enlève le paillasson, l’émancipation est certaine. Dans
les dunes, à quatorze ans, les bouches s’ouvrent, la langue sort,
s’allonge, pour autre chose que le catéchisme. Le désir gonfle, suspend
la respiration.
Dans
les contes, les princesses se laissaient faire, s’éteignaient cent ans,
l’épreuve avait lieu dans une traversée
horizontale, cercueil, coffre à reliques. Elles se réveillaient sans
avoir vieilli, prêtes pour le baiser humain, la véritable
transgression.
La
première fois, on n’aime pas, le garçon est trop proche, maladroit,
puis on embrasse une deuxième fois, c’est mieux, on
recommence. Enfin, on reprend l’expérience pour y repenser mille
fois, allongée sous un arbre, les pieds dans la mousse, dans un moment
qui dure. Souvenez-vous de la première fois que vous avez
embrassé un garçon : le souvenir revient, net, derrière la petite
maison du Crotoy, invariablement appelée les Mouettes. La brise par
souffles tièdes, on embrassait encore et encore, sans
reprendre sa respiration.
Que restera-t-il d’une marque de maillot de bain ou des ritournelles du tube de l’été ?
Un baiser.
Véronique Pittolo, Une jeune fille dans tout le royaume, éditions de l’Attente, 2014, p. 42-44.
Etre jeune fille est une question à laquelle une certaine éducation catholique et bourgeoise s’efforce d’imposer une réponse
univoque, inspirée d’un conte merveilleux réduit à son cliché. Une jeune fille dans tout le royaume, quelque part entre l’essai et la poésie, fait écho au premier texte que j’ai lu de
Véronique Pittolo, il y a quelques années, rappelez-vous : un extrait de Schrek , justement réédité
par la même occasion dans le même volume, ainsi que Chaperon Loup Farci. En plus il y a des dessins de Demetra Nikolopoulou qui dessine les robes de princesse comme personne (et pas que,
mais je laisse la surprise).
Sur Poézibao, les lectures d’Anne Malaprade et Elisabeth Jacquet. Et puis tiens, de
Véronique Pittolo c’est aussi l’occasion de relire Toute résurrection commence par les pieds.
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