En
prenant toutes ces photos, je manifeste et tente d’objectiver une
détresse souterraine qui se moque pas mal des gestes vains
que je peux faire puisqu’elle ne desserre pas son étreinte. Morsure.
On doit même pouvoir dire que ces gestes la nourrissent ; il y a
toujours un horizon artistique derrière chaque prise de
vue, qui ennoblit le geste dérisoire et la motivation psychologique –
la détresse a un manteau qui a de la gueule (la veste en croco de
Sailor, par exemple) et ça relance les dés. Voilà : le
document crée de la mélancolie. L’archive, le document portent en
eux, intrinsèquement, essentiellement, une mélancolie. Ils soignent une
détresse par la mélancolie. Celle-ci ne relève pas
obligatoirement de l’individu, mais elle s’impose à lui de
l’extérieur à coups de petites capsules de temps. Le document c’est du
temps encapsulé qui explosera de manière fugace. Le document est
une madeleine (la réciproque n’en est pas vraie, elle serait même
difficile à avaler). Le document pose un rapport mélancolique au monde ;
on commence par vouloir fixer telle ou telle chose
(un coin de rue, le sourire d’une petite fille) et on en vient à
vouloir tout sauver parce que tout va disparaître. Dans son Histoire de la Commune de 1871,
Lissagaray écrivait :
« l’exécution fut aussi folle que l’idée » et c’est un peu ça, oui :
le remède est aussi fou que la maladie, quand il ne la modèle pas de
bout en bout.
(C’est un extrait de « Photographier mille fois le ciel, ma fille ou le maréchal Foch »
d’Arno Bertina et c’est dans le volume 2 de Devenirs du roman, Ecriture et matériaux, signé par plein de belles plumes chez
Inculte.)
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