Le 18 avril 1917. Mes chers parents. Cette
carte est particulièrement facile à lire. Elle n’a guère jauni et le
crayon à papier était bien taillé. L’écriture elle-même est peut-être
moins serrée. Elle donne l’impression qu’Edmond a le
temps d’écrire. Pourtant Edmond a toujours le temps d’écrire.
Je n’ai reçu comme courrier ces quatre derniers jours que les cartes de Papa des 30 mars et 2 avril.
Je suis content de savoir que Louis est enfin arrivé et qu’il a fait un gon voyage. Je te l’avais dit, de ne pas t’en
faire. Je comprends que l’arrivée d’un jeune chien dans la maison ne vous enchante pas beaucoup. Les colis Edmond
n’en dira pas plus. Je crois deviner que c’est Louis qui ramené ce
jeune chien à la maison, et que les parents doivent trouver qu’ils
n’avaient pas
besoin de ça, que c’est une drôle d’idée. Ils doivent déjà avoir un
chien, Bibi, à moins que ce ne soit un chat, et Louis après sa
permission – il est sans doute en permission, puisqu’il est un
peu plus âgé qu’Edmond – le laissera à ses parents. A sa mère,
surtout, puisque le père doit vaquer à ses responsabilités militaires.
Edmond, lui, n’aurait pas fait ça. Il comprend ses parents à
demi-mots. Louis est différent. J’imagine, bien sûr. Au fond je n’en
sais pas grand-chose. Les
colis gare marchent très bien en ce
moment ; ils sont même plutôt en avance ; il n’en est pas de même
des colis poste qui eux sont très en retard. J’ai reçu les 15 et 16 gare
en bon état et 2 postaux les n°s 13 et
17. D. reçoit aussi bien ses colis (« aussi » a été rajouté) en ce moment ce qui fait que nous sommes bien approvisionnés pour le moment. Toujours ce
« moment » qui se répète. Rien n’est vrai au-delà du moment. Nous avons même une petite advance (c’est bien « advance », à l’anglaise, qui est écrit ; je ne sais pas si c’est une coquille ou une coquetterie, voire un mot
d’époque), ce qui est intéressant, car on ne sait jamais si le service des colis sera toujours aussi régulier. Je viens de terminer
la glace pour ma chère sœur, J’ai beau m’y attendre, à chaque fois je me sens comme frappé par cette irruption du présent dans le
passé. Edmond ne la décrit pas davantage, mais je peux préciser – c’est ça : je peux préciser
– que cette glace a un manche, je ne m’y connais pas, elle est en bois
bien
sûr, le miroir est ovale, le temps ou le vernis a patiné le bois au
point que j’ai toujours un peu de mal à croire que les motifs qui ornent
le manche et l’envers ont été creusés par les gouges
de mon jeune grand-père., et j’ai commencé le service à fumeurs pour Louis. Ça
me parle moins. Je ne sais pas bien ce qu’est un service à fumeur, avec
ou sans s. J’imagine que c’est le petit présentoir où mon père range
ses
crayons et ses stylos. Je crois que je vais pouvoir vous faire bientôt (« vous » surcharge un « bien » qui était sûrement le début de « bientôt ») un
envoi. Le temps est assez beau en ce moment quoiqu’il fasse encore un
peu frais et qu’on ait par moment de fortes ondées ; mais enfin on peut
se
promener dans le parc et c’est le principal. Nous avons mangé ces
jours-ci la première boîte de beefsteak, elle était très bonne et la
viande était très tendre. Les pommes de terre sont très
bonnes et nous permettent de faire des ragoûts. Mon associé m’en
fait d’excellents ; c’est un vrai cordon bleu. Je vous quitte mes chers
parents en vous embrassant bien fort tous les deux,
ainsi que Geneviève et Louis, Madeleine et Jean et toute la
famille. Votre fils qui vous aime de tout son cœur.
Edmond
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