Avant même de la lire cette carte-ci m’arrête par son aspect : l’écriture est encore bien plus serrée
que d’habitude – et pourtant elle est toujours très serrée. Je sais pourtant combien il y a peu à dire.
Le 21 avril 1916 – Ma chère Maman. C’est
d’abord l’adresse inhabituelle qui me retient, au lieu de l’habituel
« mes chers parents » (mais il y a eu aussi des « mon cher
papa », je m’en souviens maintenant) puis je remarque la date.
1916 ? Une simple erreur de chiffre ou bien est-ce vraiment une carte
d’avril 1916 qui s’est retrouvée classée par erreur
avec celles d’avril 1917 ?
Je suis bien heureux que tu reçoives à peu près régulièrement mes lettres. Cependant il me semble que tu n’as pas
reçu celle du 6. C’est dans celle-là que je demandais de réclamer au beau-père de Beauger (je ne suis pas sûr de bien
lire) les plaques d’identité pour le poignet que Daussy et moi nous avions commandées à Beauger avant d’être pris.
Cette carte
est évidemment plus ancienne, elle est vraiment de 1916. Je n’étais
même pas sûr qu’Edmond connaissait Daussy avant sa
captivité. Bien sûr le mot « pris » m’arrête. Il y a longtemps que
je sais qu’il a été pris, mais j’ai l’impression que je ne l’avais pas
lu. Ce mot, « pris », me fait quelque
chose. Je
reçois aussi toutes vos lettres mais elles n’arrivent pas dans un ordre
régulier. Le 17 j’ai reçu les cartes de papa des 7,
8 et 10, le 18 la lettre du 6 et ce matin seulement la lettre de
papa du 9. Comme colis j’ai reçu le n°4 le 17 les œufs étaient encore
complètement pourris et tout abîmés le chocolat les nouveaux
biscuits sont très bons. Comme conserve la langue est très bonne.
Comme paquets le 17 le n°29 le 18 celui de (je n’arrive pas à
lire, c’est trop serré contre le bord) J’ai
fait faire plusieurs photos et j’en enverrai comme réponse à tous ceux
qui m’écriront.
J’en ai déjà envoyé à ma Tante et à Lucie. Je vous envoie
aujourd’hui la 2me. Quand j’aurai reçu ma tenue je me ferai faire seul.
Quand je vous ai demandé des photos ce n’était pas seulement des
vôtres que je désirais mais encore de toute la famille. Madeleine et
Louis Lucie et Louise mes tantes. Comme alcool solidifié, envoie-moi
une grande boîte comme la dernière
« Alcool solidifié » ? Comment recopier ça à l’ordinateur sans demander à Internet de quoi il
s’agit ?
(Ces sauts de ligne juste pour marquer la pause, Evidemment Edmond ne va pas à la
ligne.)
Ah évidemment. C’est pour le réchaud, pour la cuisine. Tous
les mois Madame Beauger a répondu au Commandant et hier donné des
nouvelles des officiers du Bataillon qui ne sont pas avec nous. Il
paraît qu’il y en a
un qui a pu rentrer sain et sauf. Quel veinard ! Peut-être.
Il a quand même dû avoir d’autres occasions de mourir après son
retour. Je me dis souvent en recopiant ces lettres que la vie de
mon père (et la mienne) doit peut-être quelque chose à ces deux années
de captivité. Le
temps qui avait été très beau pendant quelques jours est maintenant
très mauvais il pleut et même il fait froid. Je suis bien content que
vous vous
occupiez des bouquins, car je ne sais quoi faire, je peux bien me
procurer des bouquins à lire, mais je voudrais quelque chose de plus
sérieux. Ce sont sans doute des livres pour étudier qu’Edmond attend, ceux grâce auxquels il étudie dans les lettres précédentes. Je
pense bien souvent à toi ma chère maman ainsi qu’à papa. Quelle joie
quand nous serons réunis ! J’espère que ce sera bientôt, je prie pour
cela.
Cette semaine nous avons eu une représentation artistique
franco-russe. C’était très gentil, cela a fait passer agréablement une
soirée. Une soirée. Je suis tombé dans une bonne chambre on y est assez gai, on y fait beaucoup de
plaisanteries et on dit de bons mots. Rappelle-toi la grande illusion. Je
te quitte ma chère maman en t’embrassant bien fort ainsi que mon cher
papa et toute la famille. Mon bon souvenir à tous les amis et une
caresse au petit
Bibi. Ton fils qui t’aime de tout son cœur. Edmond Tout est tellement serré que
« tout son cœur. Edmond » est écrit en tout petit sous la dernière ligne.
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