mardi 27 novembre 2012

une forme qui parle

Entre deux copies, en pensant à A l’ouest rien de nouveau qu’étudient mes 3e, je me dis que ce qui fait sans doute une part essentielle de la valeur littéraire de ce texte, c’est quand même finalement qu’on n’est vraiment pas loin du monologue intérieur, et qu’on y est presque, même si l’auteur peut-être n’en a pleinement conscience1, et même si on est loin de Joyce – mais pas par l’époque, après tout.
Car somme toute, mener un récit à la première personne et à un présent qui est clairement celui de l’énonciation (« Maintenant, nous avons le ventre plein de haricots blancs »), c’est la façon la plus directe de livrer un discours immédiat (je ne me rappelle plus dans quel texte Genette préférait cette appellation à celles de monologue intérieur et de courant de conscience) et de réduire au minimum la distance du lecteur au personnage. C’est surtout faire ignorer au narrateur lui-même ce qui va se passer à l’instant suivant, et formellement – même si « ouf, le formalisme est mort », nous disait l’autre jour un nouvel oracle des lettres contemporaines – il n’y a guère de meilleur moyen de rendre compte de la condition du soldat : cette ignorance du lendemain, cette condamnation à ne vivre que dans le présent le plus restreint. Une parole qui, quand elle se tait à la fin du livre, ne peut signifier que la mort de celui qui pensait là, devant nous. Une forme qui parle.
Il n’y a évidemment pas de progrès en art, comme le disait assez bêtement Aurélien Bellanger dans l’interview dont je me moquais avant-hier – bêtement parce qu’il confond progrès et évolution. Car il y a une évolution, après tout nous faisons bien partie de la nature, et il n’est pas insignifiant que des formes nouvelles apparaissent, et parfois même s’imposent, comme ici, presque malgré l’auteur.
 
 
1. Je tombe sur un « et l’on n’aurait peut-être pas besoin d’en parler ici » (c’est moi qui souligne) qui sent encore son mémorialiste – et qui est quand même une incohérence légère : à aucun moment dans le texte il n’est explicitement question de carnets tenus par le narrateur. Il y a d’autres petits défauts du même genre, aggravés par un emploi récurrent et très inapproprié du passé simple par le traducteur : la traduction date et mériterait d’être révisée.

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