Entre deux copies, en pensant à A l’ouest rien de nouveau qu’étudient mes 3e, je me dis que ce qui fait sans
doute une part essentielle de la valeur littéraire de ce
texte, c’est quand même finalement qu’on n’est vraiment pas loin du
monologue intérieur, et qu’on y est presque, même si l’auteur
peut-être n’en a pleinement conscience1, et même si on est loin de Joyce – mais pas par l’époque, après tout.
Car
somme toute, mener un récit à la première personne et à un présent qui
est clairement celui de l’énonciation
(« Maintenant, nous avons le ventre plein de haricots blancs »),
c’est la façon la plus directe de livrer un discours immédiat (je ne me
rappelle plus dans quel texte Genette préférait
cette appellation à celles de monologue intérieur et de courant de
conscience) et de réduire au minimum la distance du lecteur au
personnage. C’est surtout faire ignorer au narrateur lui-même ce
qui va se passer à l’instant suivant, et formellement – même si
« ouf, le formalisme est mort », nous disait l’autre jour un nouvel oracle des lettres contemporaines
– il n’y a guère de meilleur moyen de rendre compte de la condition
du soldat : cette ignorance du lendemain, cette condamnation à ne
vivre que dans le présent le plus restreint. Une parole qui, quand elle
se tait à la fin du livre, ne peut signifier que la
mort de celui qui pensait là, devant nous. Une forme qui parle.
Il n’y a évidemment pas de progrès en art, comme le disait assez bêtement Aurélien Bellanger dans l’interview
dont je me moquais avant-hier – bêtement parce qu’il confond progrès et
évolution. Car il y a une évolution, après
tout nous faisons bien partie de la nature, et il n’est pas
insignifiant que des formes nouvelles apparaissent, et parfois même
s’imposent, comme ici, presque malgré l’auteur.
1. Je tombe sur un « et l’on n’aurait peut-être pas besoin d’en parler ici »
(c’est moi qui souligne) qui sent encore son mémorialiste – et qui est
quand même une incohérence légère : à aucun moment dans le texte il
n’est explicitement question de carnets tenus par le narrateur. Il y
a d’autres petits défauts du même genre, aggravés par un emploi
récurrent et très inapproprié du passé simple par le
traducteur : la traduction date et mériterait d’être révisée.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire