Voilà
que je tombe sur une courte (trop courte, sans doute) interview d’un
professeur d’université à propos du sempiternel
marronnier linguistique du masculin et du féminin en français.
Personnellement, je trouve que le système des temps, dans la complexité
de notre belle langue, est un sujet nettement plus
stimulant, mais non : c’est la question du masculin et du féminin
qui intéresse la presse, parce que ça parle – apparemment – davantage de
notre société. C’est ici : « La grammaire a été au service du pouvoir ».
Voilà. Comme ça, vite fait, ça a l’air intéressant ; mais si on creuse un peu, c’est faiblard – et c’est quand même dommage
de soutenir de justes causes avec des arguments faiblards.
A propos de la fameuse règle, rappelez-vous, du masculin qui l’emporte sur le féminin, Yannick Chevalier, notre
professeur de stylistique, écrit :
« L’Académie
française a imposé cette règle au XVIIe siècle. Auparavant, l’usage
était souvent l’accord avec le mot
le plus proche : "Le couteau et lA fourchette sont poséEs sur la
table". Cette décision s’est fondé sur des considérations politiques
plus que linguistiques. Ce fut une manière
supplémentaire pour rappeler la "supériorité" sociale des hommes sur
les femmes. »
Enfin,
je ne pense pas vraiment qu’il l’écrive et que la faute d’accord sur
« fondé » soit sienne, et il est possible
aussi – je le souhaite – que son propos aussi ait été abusivement
simplifié par le journaliste pour raccourcir l’article. Car enfin,
l’accord par proximité avant qu’on légifère sur l’orthographe
grammaticale, oui, d’accord ; mais tout de même, en cas de reprise
par un pronom personnel, c’était déjà bien le pronom « ils » qui était
employé. De la même manière, lorsqu’on a
besoin de la forme la plus impersonnelle, le pronom « il » s’est
toujours naturellement imposé : il pleut – malgré la pluie. Ou il faut, il se
peut, il arrive… Il n’est pas rare non plus d’entendre, dans la langue relâchée – et notamment dans la bouche des petits enfants – le pronom ils employé avec un
référent strictement féminin : « les filles, ils ont fait un beau dessin ».
Que l’évidente phallocratie de la société soit à l’origine de cette règle du masculin qui l’emporte sur le féminin, rien n’est
moins sûr.
Que cette règle même soit à proprement une règle, ça se discute.
Que le masculin existe en français, ça n’est même pas une évidence.
D’un point de vue strictement formel, la différence des genres en français repose sur une opposition marqué / non marqué. Il y a
un genre qui porte la marque de son genre : le féminin et son e. Et il y a un genre qui ne porte pas de marque et que, par opposition, on appelle le masculin*. Lorsque
aucune distinction de genre ne s’impose, il est tout simplement naturel
que ce soit la forme non marquée qui soit choisie. Le problème vient de
ce que, à défaut de marque pour exprimer
le masculin, cette forme sans marque se trouve employée à occuper ce
vide. Le problème vient aussi du fait qu’on a continué à appeler masculin
un genre dont le masculin n’est qu’un des
effets de sens, et par défaut. Et c’est là, peut-être, qu’on peut
voir la phallocratie à l’œuvre non pas dans la grammaire dans ses règles
mais dans le vocabulaire grammatical lui-même : il
aurait sans doute été plus judicieux d’appeler neutre ce
genre non marqué, ce genre privé d’une marque indiquant le masculin – ça
nous aurait évité de bien stériles débats sur la
féminisation des noms de métiers et de fonctions. Mais sans doute
était-il difficile d’admettre que le masculin, en français, n’existe
pour ainsi dire pas.
* C’est à peu près la même chose pour le nombre : le pluriel porte une marque, le s ;
le singulier s’en
distingue juste par l’absence de marque. Le singulier est davantage
un « non-pluriel » qu’un authentique singulier. De la même manière, le
présent est le seul « temps » dont
la conjugaison ne porte que des marques de personne et aucune marque
temporelle : c’est un non-temps.
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