L’Agent de liaison
est un entrelacs de récits parallèles (assumons l’apparente
contradiction, peut-être prendra-t-elle sens) et fragmentaires, qui
déclinent le thème de l’espionnage et de la trahison, de la double
identité, de la fuite ; où les failles du langage
trahissent les failles de l’identité. Le langage leurre. Le traître,
devenu « agent », acquiert par ce glissement de vocabulaire une sorte
de légitimité ; une légitimité de
l’illégitime. Le langage trahit. Les italiques fréquents nous
invitent au soupçon. Comment dès lors parler de ce texte sans le
trahir ? Traductor traditor – car Hélène Frappat aime les mots
qui, « dans une autre langue », se disent presque pareil.
La
matière est romanesque, c’est le traitement qui est différent.
Romanesque surtout l’histoire de Sylvette l’aveyronnaise qui,
dans les années soixante-dix, fuit le restaurant paternel
d’« Arcueilcachan », comme dit la famille, franchit la frontière du
périphérique pour dans la capitale sous un autre nom mener
sa propre vie, désormais clandestine, donnant naissance à une fille
qui ne connaîtra pas son père. On peut, si l’on veut, prendre l’une ou
l’autre pour le double fictif de la narratrice,
« trahie » par son mari (c’est le mot choisi – quel en est le vrai
sens ?), marquée par le souvenir de sa mère au nom douteux et au langage
lacunaire. Parmi et au-delà de ces deux
intrigues (le mot encore est impropre mais je le choisis à dessein,
intrigué moi-même par cette intrication d’intrigues qui n’en sont pas –
et en sont autrement) il y en a d’autres, partielles,
qui tissent un réseau où les agents de liaison vivent leur
clandestine histoire d’espionnage, douloureuse aussi, dans la tentation
parfois de laisser tomber le masque, comme les mots qui cachent
les choses tendent aussi à les découvrir.
L’agent
de liaison, personnage multiple, époux putatif et fuyant de la
narratrice, c’est aussi ce qui fait le lien, jamais
définitif, entre un mot et un autre, entre le mot et la chose, le
nom et la personne. Appelons-le, juste une fois, Hélène Frappat.
L’Agent de liaison, d’Hélène Frappat, est paru chez Allia en 2007. Un extrait ici même.
(Mars 2008.)
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