Je tombe par hasard sur une interview de Jean-François Colosimo
dans le
Figaro. C’est le président du CNL (le Centre National du Livre),
mais comme je n’y connais rien (je devrais, mais bon), ça ne me dit
rien.
A la question « Pourquoi la fiction française ne s’exporte-t-elle pas davantage ? »
(j’aurais préféré que Sébastien Le Fol emploie le mot littérature plutôt que fiction, il m’intéresse davantage), Jean-François Colosimo répond : « Le roman français reste très autocentré et demeure trop
souvent, à l’étranger, l’apanage de cercles spécialisés. »
D’accord, « Autocentré », c’est un euphémisme pour nombriliste. Et de fiction faute de
littérature nous voilà déjà réduits à roman. Je sais bien que le roman est un genre protéiforme propre à intégrer tout ce qu’on veut mais moi, quand on me dit roman
français, j’ai tendance à penser à ce genre de notre Histoire
littéraire auquel Stendhal et Balzac ont donné ses heures de gloire et
pour lequel Flaubert a organisé une apothéose finale
parce que les meilleures choses ont une fin, c’est à ça qu’on les
reconnaît. C’était il y a déjà quelques années. Alors le roman français
aujourd’hui, bon, de quoi on parle au fait ?
« Peut-on s’adresser à la planète en se contentant de revendiquer son village, fût-ce
Saint-Germain-des-Prés ? » Ah, d’accord. Donc le roman
français, c’est les trucs qui paraissent dans les trois ou quatre
grosses maisons du quartier et qui racontent des
histoires et qui ne sont pas forcément bons même s’ils ne sont pas
forcément mauvais non plus, j’imagine. On va finir par se comprendre.
(En même temps il parle de ceux qui franchissent la
frontière. Forcément, c’est le sujet de l’interview. Et c’est vrai
que c’est quand même à Saint-Germain-des-Prés qu’il y a les plus
puissantes catapultes.)
(Cela dit, j’ai peut-être des difficultés de compréhension, mais je ne vois pas trop en quoi parler de son village serait
forcément de l’autocentrisme inadéquate quand on a l’ambition de s’adresser à la planète.) (Je me dis comme ça Cent ans de solitude, par exemple.) (Il y a comme une confusion entre le
village et le soi, il me semble – puisque c’est le
nombril qui est visé.) (Et par ailleurs je ne vois pas non plus
l’évocation du soi comme forcément haïssable. Montaigne, par
exemple, ne vous en déBlaise. Ah non, c’est vrai : c’est pas de la
fiction. Alors Proust ?) (Ça m’agace quand même, cette confusion entre
la littérature et le roman largement entretenue
par la presse qui devrait être littéraire et qu’il vaudrait mieux
appeler la presse romanesque, du coup.)
Donc
si j’ai bien compris, ces romans français n’auraient que peu d’audience
à l’étranger parce qu’ils seraient trop autocentrés
– qui est un euphémisme pour nombrilistes – qui est une manière de
dire qu’ils sont mauvais sans le dire vraiment mais en ayant l’air de
proposer l’évidente explication de cette mauvaise qualité
du roman français tellement évidente qu’on ne nous ressort que ça à
toutes les sauces depuis dix ans au moins.
Comme si c’était le sujet du roman qui faisait sa qualité, quoi.
Et si ces romans français, les quelques-uns qui passent pour représenter la littérature française dans son ensemble1,
s’ils étaient mauvais (pour ceux qui en effet sont mauvais)
l’étaient pour d’autres raisons que l’inévitable nombrilisme ? (Car rien
ne m’ôtera l’idée que le nombril aussi est un merveilleux
sujet, peut-être encore meilleur que l’anus et presque aussi bon que
la narine – du moment qu’il s’impose en toute authenticité à son
auteur.) Et si le nombrilisme avéré de certains romans
français n’était pas la cause de leur médiocrité, mais plutôt, par
exemple, la conséquence ? Pierre est un très mauvais écrivain donc
il se croit capable d’écrire sur sa
propre personne – que nous saluons au passage, la pauvre, car sans
doute ne méritait-elle pas ça. (Et du coup, par exemple, comme Paul qui
est aussi un mauvais écrivain sans être un imbécile pour
autant a pris conscience de la médiocrité de la production
romanesque – mais on va dire littéraire pour faire plaisir à la
presse – de Pierre, pour éviter de tomber dans ce travers qui
évidemment le guette, s’en va choisir un sujet très loin de sa
personne : par exemple, qu’est-ce qu’on pourrait bien trouver ? Je ne
sais pas, moi, tiens : la Shoah. Comme ça au
moins ce sera du sérieux, du solide, de la garantie avant écriture.
Und so weiter. On n’est pas sorti de l’auberge.) La question qui reste :
mais pourquoi nous en parle-t-on autant, de ces
romans si médiocres ? Pourquoi nous en parle-t-on au point d’essayer
de leur faire franchir non sans peine, si j’en crois Colosimo, nos
frontières ? Et pour en dire aussi bien du mal
que du bien, d’ailleurs. Eh bien moi je sais, tant pis pour le
suspense : parce qu’il est infiniment plus facile de parler, en mal
comme en bien, d’un livre médiocre que d’un livre vraiment
singulier, qui fasse œuvre.)
Mais je m’emballe, et nous voici bien loin de notre interview.
– Notre répugnance à considérer aussi la culture comme une industrie n’est-elle pas un sérieux
handicap ?
–
Nous autres Français avons encore trop tendance à considérer que notre
culture est à prendre ou à laisser. Nous sommes
trop dans une démarche unilatérale de l’offre que nous absolutisons
volontiers. Quitte à méconnaître la demande. Quitte à mésestimer la
diversité. Quitte à nous considérer comme l’unique rempart
contre la mondialisation. Cela est dû en grande partie à notre
tradition jacobine. Or le commerce du livre a cela de paradoxal qu’il
est à la fois un commerce intellectuel et un commerce réel.
Aujourd'hui, face aux multinationales du consumérisme, la bataille
culturelle est avant tout économique.
Bon, je ne vais pas tout commenter non plus. J’ai encore quelques livres à écrire, précisément dans ce genre à prendre ou à
laisser dans lequel je choisis aussi mes lectures.
1.
Et c’est bien le problème – la représentation de la littérature –, et à
ce sujet moi qui pourtant ne prise guère les prix
j’ai l’impression que cette année les différents jurys littéraires
ont l’ambition de me faire réviser mon opinion, c’est pas gagné mais
continuez les gars, vous êtes sur la bonne voie.
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